Personne ne peut nier le rôle d’Atatürk dans la création de la Turquie moderne. Cependant, il a joué un rôle aussi important dans le nettoyage ethnique de la Turquie avec son lot de génocides et de drames.
Suivent quelques réflexions sur l’action d’Atatürk ainsi que le communiqué de l’Association FRA Nor Seround[1], sur l’intention de la ville d’Epinay-sur-Seine d’inaugure une statue en son honneur.
La lente perte de puissance de l’Empire ottoman depuis le second siège de Vienne[2] l’a mené à de pertes successives de territoires. Il ne restait de l’Empire que l’Asie Mineure plus quelques territoires adjacents à la fin de XIXe et au début du XXe siècle. Dès lors, s’est imposée dans certains milieux nationalistes turcs la nécessité d’une organisation capable d’assurer en toutes circonstances la continuité de l’État. C’est « l’Organisation Spéciale » (OS, en turc Teşkilat-i Mahsusa) qui remplit cette mission. Au lendemain de la Première Guerre mondiale, c’est dans les réseaux de l’OS que Mustapha Kemal Atatürk trouve ses premiers partisans. Véritable État dans l’État ou « État profond » (Derin Devlet), les membres de l’OS œuvrent à la protection des intérêts nationaux, y compris par des moyens illégaux[3].
Mustapha Kemal Atatürk, le nouvel homme providentiel turc tentait par tous les moyens de sauver ce qui pouvait l’être de l’Empire ottoman en déliquescence, avec une corruption galopante et des attaques de toutes parts. Atatürk avec les hommes forts du nouveau régime en formation : Cemal (1872-1922), ministre de la Marine, Enver (1881-1922) ministre de la Guerre, Talaat (1874-1921), ministre de l’Intérieur, prend lentement le contrôle de tous les rouages du pouvoir. Le Sultan et le Grand Vizir sont ravalés au rang de simples exécutants.
Les tensions internes apparaissent de plus en plus et le nouveau pouvoir commence à réfléchir à l’homogénéisation de la population de ce qui reste de l’Empire. En 1915, sous le commandement du ministre de l’Intérieur Talaat Pacha, une politique de déportation et de massacre des Arméniens de l’Empire est initiée. Le génocide des Arméniens est lancé faisant environ 1 500 000 morts. D’autres génocides ont été perpétrés par les Jeunes-Turcs : ceux des Grecs pontiques (entre 350 000 et 360 000 morts) et ceux des Assyriens (entre 500 000 à 750 000). Tout en tentant d’éliminer les « ennemis de l’intérieur » les fondateurs du nouveau régime turc gardaient toujours dans l’esprit le rêve de récupérer les territoires ottomans et les rêves de grande puissance.
Le groupe occulte Organisation Spéciale contrôlé par les nouveaux maîtres de la Turquie, a été fortement impliqué dans le génocide des Arméniens. Ce groupe, avait les moyens de soulever les populations turques en sous-main, en présentant ces « soulèvements » comme une réaction populaire. Cette méthode a été également appliquée à la lettre par la Turquie contre les Grecs-pontiques, les Grecs des côtes égéennes et les chrétiens orientaux. D’ailleurs, la même méthode a été utilisée lors des pogroms des 6-7 septembre 1955 contre les populations non-musulmanes (Grecs, Arméniens et juifs notamment) des grandes villes turques. L’OS s’est spécialisée dans l’extermination des convois de déportés arméniens et elle a été impliquée dans des actes de propagande, d’organisation d’assassinat et d’exécution d’assassinat en Turquie et à l’étranger[4].
Fait important : des prisonniers de droit commun, libérés par le ministère de la Justice ont été organisés en bandes de combattants irréguliers, les tchétés (en turc çete). Ils ont été entrainés et utilisés par le Gouvernement pour exterminer les Arméniens ; ce sont ces mêmes groupes présentés par la propagande turque comme des citoyens en colère qui ont été envoyés dans les régions du Pont et les régions occidentales de l’Asie Mineure pour exterminer et faire fuir les Grecs de ces régions, régions dans lesquelles ils habitaient depuis des millénaires. L’action de cette organisation s’est également tournée contre les Kurdes dont une partie rêvait d’un État indépendant ou commun – sur un pied d’égalité – avec les Turcs.
La défaite à la Première Guerre mondiale a contribué à renforcer les rangs de l’Organisation Spéciale avec des soldats et jeunes officiers rompus à la guerre et amers des défaites successives de l’Empire ottoman dépecé. Ils n’avaient qu’une envie : en découdre avec tous les « ennemis » qui étaient encore à l’intérieur de la Turquie et donner naissance à l’État nettoyé et homogène rêvé de Mustafa Kemal Atatürk.
Communiqué de la FRA Nor Seround : Non à l’inauguration d’une statue d’Atatürk à Épinay-sur-Seine !
21 octobre 2024
C’est avec stupeur que nous apprenons qu’une statue de Mustafa Kemal Atatürk, décrit comme « le plus grand homme du siècle » par Hitler, est sur le point d’être inaugurée dans la ville d’Epinay-sur-Seine mais nous ne pouvons rester silencieux. Ce monument ne reflète ni la justice, ni la vérité historique, ni le respect des victimes de répressions et de violences, mais une honte.
POURQUOI NOUS OPPOSONS-NOUS À CETTE STATUE ?
Atatürk et la continuité du génocide arménien et grec : Le génocide des Arméniens ne s’est pas terminé en 1915. L’ouvrage, Parachever un génocide, Mustafa Kemal et l’élimination des rescapés arméniens et grecs (1918-1922), expose la destruction des Arméniens, des Grecs et d’autres minorités qui s’est poursuivie sous la direction des Jeunes-Turcs nationalistes avec le soutien actif de Mustafa Kemal Atatürk. Souvent présenté comme progressiste, ce dernier a en réalité contribué à l’élimination organisée des survivants des massacres antérieurs, dans le cadre de la construction de l’État-nation turc.
Un projet d’homogénéisation ethnique : En collaborant avec les responsables des massacres et bénéficiant du soutien de l’opinion publique turque, Atatürk a non seulement poursuivi les violences, mais il a aussi intégré ces crimes de masse dans le fondement de la République turque moderne.
Génocide des kurdes de Dersim : Durant les années 1937-1938, sous le régime d’Ataturk, eut lieu une campagne d’extermination de la population civile de la province kurde de Dersim, rebaptisée Tunceli depuis par les Turcs. Aujourd’hui, les Dersimis luttent pour que ce crime soit reconnu en tant que génocide par des instances internationales comme les Nations-Unies.
La vérité historique contre la célébration aveugle : Honorer Atatürk avec une statue, c’est ignorer cette vérité. Ces crimes ne peuvent être dissociés de son héritage et de la fondation de la Turquie. Nous devons nous poser cette question cruciale : la Turquie contemporaine porte-t-elle encore l’empreinte des violences commises contre les Arméniens, les Syriens et les Grecs ottomans ? La réponse est claire, célébrer Atatürk à travers une statue, c’est ignorer et nier les souffrances des Arméniens, des Grecs, des kurdes et des autres minorités qui ont été éliminées dans la construction de l’État turc.