L’obsession azerbaïdjanaise pour la Constitution arménienne

par | 24 Juil 2024 | Tribunes libres

Qu’est-ce qui motive l’obsession azerbaïdjanaise pour la Constitution arménienne ?

 

Depuis la fin de la deuxième guerre du Haut-Karabakh en 2020, l’Arménie et l’Azerbaïdjan ont entamé des négociations en vue de signer un accord de paix. Le processus ressemble à des montagnes russes avec des hauts et des bas extrêmes, reflétant la nature volatile et imprévisible des discussions. À plusieurs reprises, les parties ont semblé sur le point de conclure un accord, mais une circonstance inattendue est survenue, provoquant un revirement important au cours des pourparlers de paix. Fin 2022, après d’intenses négociations à Washington et à Prague, l’Azerbaïdjan a refusé de se présenter à Bruxelles et a lancé un blocus contre la République autoproclamée du Haut-Karabakh. L’Azerbaïdjan a fait de même à la fin de l’année 2023, lorsque, malgré les espoirs croissants d’un accord imminent, le président Aliyev a refusé d’assister au sommet de la Communauté politique européenne (CPE) en octobre 2023 à Grenade et au sommet trilatéral Arménie-Azerbaïdjan-Union européenne à Bruxelles.

La déclaration conjointe de l’Arménie et de l’Azerbaïdjan du 7 décembre 2023, qui a facilité l’accueil par l’Azerbaïdjan du sommet mondial sur le climat, la COP29, à Bakou en novembre 2024, a ouvert un nouveau chapitre dans cette saga en cours. Depuis le début de l’année 2024, les discussions se sont concentrées sur la création d’une dynamique en vue de la signature d’un accord avant la COP29. En avril 2024, l’accord de l’Arménie pour commencer le processus de délimitation et de démarcation de la région de Tavush et pour retirer ses troupes de certaines zones frontalières a semblé susciter l’espoir que, cette fois, les montagnes russes des négociations pourraient enfin s’arrêter, avec la signature d’un document avant ou pendant la COP29.

Cependant, au cours des derniers mois, le président Aliyev a souligné ce qu’il décrit comme des obstacles insurmontables à la signature d’un accord avec l’Arménie, en particulier la constitution arménienne. Aliyev se réfère au préambule, qui fait référence à la déclaration d’indépendance d’août 1990, qui elle-même mentionne la décision conjointe de décembre 1989 du Conseil suprême de l’Arménie soviétique et du Conseil national du Haut-Karabakh concernant l’unification du Haut-Karabakh avec l’Arménie soviétique. Il affirme que la constitution arménienne contient des revendications territoriales à l’encontre de l’Azerbaïdjan, arguant qu’un accord de paix ne peut être finalisé sans amendements constitutionnels.

Depuis le début de l’année 2024, le Président Aliyev a souligné à plusieurs reprises la nécessité d’amender la constitution arménienne comme condition préalable à un accord de paix. Il l’a mentionné lors de sa rencontre avec le secrétaire général de l’Union interparlementaire, Martin Chungong, à Bakou le 1er février 2024. Le président Aliyev a réitéré ces exigences au début du mois de juin 2024 lors de sa rencontre avec les parlementaires des États turcophones, déclarant qu’un accord de paix avec l’Arménie était impossible sans changements constitutionnels. Il a poursuivi cette rhétorique dans son discours au Forum mondial des médias en Azerbaïdjan le 20 juillet 2024.

Il convient de noter que le Premier ministre Pashinyan a préconisé la modification de la constitution arménienne avant même son accession au pouvoir lors de la révolution de velours de 2018. Il a créé une commission spéciale sur cette question après la révolution en décembre 2019. Malgré les interruptions causées par la pandémie de COVID-19, la guerre du Haut-Karabagh en 2020 et les élections législatives anticipées de juin 2021, M. Pashinyan a formé un nouveau conseil d’amendement constitutionnel et une commission spécialisée. En décembre 2023, le conseil et la commission ont soumis leur proposition d’amendements constitutionnels au gouvernement. Cependant, jusqu’en 2024, il n’y a pas eu de discussions en Arménie sur la suppression de la référence à la Déclaration d’indépendance ou sur la nécessité de rédiger entièrement une nouvelle constitution, plutôt que d’y apporter des modifications progressives.

Le Premier ministre Pashinyan a évoqué la nécessité d’une nouvelle constitution le 19 janvier 2024. Lors de son interview à la radio publique le 1er février 2024, il a soulevé la question de la référence à la déclaration d’indépendance dans la constitution, soulignant que l’État arménien doit réglementer ses relations avec la déclaration. Il affirme que si la politique de l’État arménien est basée sur la déclaration, l’Arménie ne connaîtra jamais la paix et sera au contraire confrontée à une guerre imminente. Le 24 mai 2024, le Premier ministre Pashinyan a publié une décision demandant au Conseil d’amendement constitutionnel d’approuver le projet de nouvelle constitution avant le 30 décembre 2026.

La constitution, un obstacle à la paix ?

À la lumière de ces événements, il est impératif de reconnaître que les dispositions constitutionnelles de l’Arménie ne doivent pas être utilisées comme un obstacle à la paix. Cette attente de changements constitutionnels pourrait être perçue comme un prétexte pour faire dérailler le processus de paix. Les efforts de paix entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan ne doivent pas être pris en otage par des exigences conçues pour être irréalisables ou non pertinentes.

Indépendamment du discours politique interne à l’Arménie concernant la nécessité d’apporter des amendements ou de rédiger une nouvelle constitution, les arguments de l’Azerbaïdjan sur cette question ne sont pas convaincants. Certains à Bakou affirment qu’en l’absence de modifications juridiques, les futurs gouvernements arméniens pourraient tenter d’annuler les pertes subies en 2020-2023. Cependant, il est clair que si un futur gouvernement arménien a l’intention et la capacité d’agir contre l’Azerbaïdjan, il est peu probable qu’il abandonne ses plans uniquement en raison des changements constitutionnels ou juridiques apportés par l’administration Pashinyan une décennie ou plus auparavant.

D’autres affirment que le parlement arménien ou la cour constitutionnelle ne ratifieront pas l’accord de paix, car il pourrait être contraire à la constitution. Cependant, cet argument n’est pas non plus fondé. Si cela se produit, l’Azerbaïdjan n’a rien à perdre ; en fait, cela lui donnerait une excellente occasion de montrer comment l’Arménie a fait dérailler le processus après la signature de l’accord, dépeignant ainsi Erevan comme un « acteur malveillant ».

Ainsi, l’insistance de l’Azerbaïdjan sur les changements juridiques en Arménie comme condition préalable obligatoire à l’accord n’est rien de moins qu’une tentative délibérée de saper l’élan des négociations menant à la COP29 et d’empêcher la signature de tout accord. L’Azerbaïdjan vise à perpétuer la situation de « ni guerre, ni paix » dans les relations entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan après septembre 2023, en laissant la porte ouverte à de nouvelles escalades militaires. Ces actions entravent non seulement la possibilité d’une normalisation entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan, mais aussi la normalisation entre l’Arménie et la Turquie, faisant ainsi directement obstacle aux efforts des États-Unis et de l’Union européenne pour apporter la stabilité dans le Caucase du Sud.

Source :
https://www.commonspace.eu/node/12783
Traduit de l’anglais par Jean Dorian