Les Juifs Justes lancent un appel à Israël pour l’ouverture du corridor de Latchine
Par Harut Sassounian
Éditeur, The California Courier
Il y a des pro- et des anti-arméniens dans toutes les nationalités. Les Juifs ne font pas exception. Il y a des Juifs qui nous soutiennent et d’autres qui s’y opposent. Il ne faut pas généraliser et mettre tout le monde dans le même sac. Les Arméniens ne doivent pas considérer tous les Juifs comme des opposants simplement parce que le gouvernement israélien nie le génocide arménien et vend des milliards de dollars d’armes à l’Azerbaïdjan.
Les Arméniens ont le droit de critiquer le gouvernement israélien et les Juifs qui sont anti-arméniens. J’ai sévèrement condamné le déni du génocide arménien par Israël lors de ma conférence de 2015 dans une université israélienne. Après la conférence, j’ai rencontré le président d’Israël Reuven Rivlin et lui ai dit que le gouvernement d’Israël, dont le propre peuple a été victime d’un génocide, aurait dû être le premier pays à reconnaître le génocide arménien, et non le dernier. Le président Rivlin m’a dit qu’il reconnaissait le génocide arménien et qu’il reprochait au Premier ministre Benjamin Netanyahu de le nier.
Je viens de recevoir des copies de deux lettres envoyées par un groupe d’Israéliens vertueux aux plus hauts responsables de leur pays, leur demandant d’intervenir auprès de l’Azerbaïdjan pour débloquer le corridor de Latchine (Berdzor).
La première lettre a été envoyée au ministre israélien des affaires étrangères, Eli Cohen, le 15 janvier 2023, lui demandant de l’aider à prévenir « une grave crise humanitaire et des pertes de vies humaines » dues au blocus du corridor de Latchine par l’Azerbaïdjan. Les 17 signataires juifs éminents de la lettre, dont des rabbins, des journalistes et des universitaires, ont écrit : « Nous pensons que vous, le ministre des affaires étrangères d’Israël, grâce à vos liens avec vos homologues d’Azerbaïdjan et de Russie, pouvez contribuer à éviter cette grave crise humanitaire. C’est pourquoi nous vous demandons de les approcher de toute urgence afin d’œuvrer à la levée du blocus du corridor de Lachin ».
La seconde lettre a été envoyée le 11 août 2023 au président israélien Isaac Herzog, qui s’était récemment rendu en Azerbaïdjan. Les auteurs de la lettre lui demandaient « de lancer un appel personnel à vos homologues en Azerbaïdjan et d’exiger qu’ils lèvent immédiatement le blocus du corridor de Latchine ». Les 35 signataires juifs éminents de la lettre, dont des rabbins, des universitaires, des journalistes, un ancien ministre et membre de la Knesset, des architectes et des scientifiques, ont écrit : « L’État d’Israël entretient des liens étroits avec l’Azerbaïdjan, l’État qui est responsable de cette crise et qui a la capacité de la résoudre. Ces liens obligent l’État d’Israël à prendre une position claire et à ne pas rester les bras croisés…. L’aide que nous [Israël] avons apportée [à l’Azerbaïdjan] signifie que nous avons une responsabilité particulière de ne pas être spectateur, et nous donne également une occasion importante d’avoir un impact positif. Nous ne pouvons pas rester silencieux, surtout à la lumière de nos liens historiques et multiples avec le peuple arménien ».
Au-delà de ces lettres, des centaines de Juifs et d’Arméniens d’Israël ont organisé plusieurs manifestations pendant et après la guerre d’Artsakh de 2020. L’une d’entre elles s’est déroulée devant le ministère de la défense à Tel-Aviv, critiquant la vente d’armes israéliennes à l’Azerbaïdjan. Certains manifestants tenaient des modèles de drones sur lesquels étaient peintes des taches de sang avec la mention « Fabriqué en Israël ».
Avidan Freedman, l’un des fondateurs de Yanshoof, une organisation qui se consacre à l’arrêt des ventes d’armes israéliennes aux auteurs de violations des droits de l’homme, a publié un article dans le Times of Israel le 13 août 2023, intitulé : « La crise humanitaire de l’Artsakh est de notre responsabilité. Voici pourquoi ». Il écrit : « Israël a fourni à l’Azerbaïdjan 69 % de ses armes entre 2016 et 2020. Pendant la guerre de l’Artsakh en 2020, une source militaire israélienne de haut rang a affirmé que « l’Azerbaïdjan n’aurait pas été en mesure de poursuivre ses opérations à ce niveau sans notre soutien ». Freedman conclut : « la crise humanitaire actuelle au Nagorny-Karabakh a été rendue possible par le soutien israélien…. La crise humanitaire émergente, le soutien militaire d’Israël à l’Azerbaïdjan et le lien historique et moral du peuple juif avec le peuple arménien se conjuguent pour créer une responsabilité morale évidente. Israël doit adopter une position morale et demander à l’Azerbaïdjan de lever immédiatement son blocus du corridor de Latchine.
Pour illustrer la profondeur des sympathies pro-arméniennes chez certains Juifs, je voudrais citer le Dr Israël Charny, l’un des signataires des deux lettres susmentionnées. Il est le directeur exécutif de l’Institut sur l’Holocauste et le Génocide, basé à Jérusalem, et l’auteur de « Israel’s Failed Response to the Armenian Genocide » (La réponse ratée d’Israël au génocide arménien). En 2009, Charny et moi-même avons été invités à prendre la parole devant le Parlement britannique. Comme il ne pouvait pas y assister pour cause de maladie, il a soumis son discours par écrit. En voici un extrait : « Shimon Peres, aujourd’hui président d’Israël et à l’époque ministre des affaires étrangères d’Israël, n’a pas hésité à insulter à deux reprises l’histoire et la mémoire du génocide arménien.
En 2001, Charny a envoyé une lettre cinglante à Peres : « Vous avez dépassé une limite morale qu’aucun Juif ne devrait se permettre d’enfreindre… En tant que Juif et Israélien, j’ai honte de voir à quel point vous êtes entré dans le domaine de la négation effective du génocide arménien, comparable à la négation de l’Holocauste ».
En réponse à un démenti « particulièrement insultant » de Peres en 2002, le Dr Charny lui a envoyé un de mes éditoriaux dans The California Courier, avec la note suivante : « Je joins avec une grande inquiétude à votre attention un éditorial dans un journal américano-arménien de premier plan appelant l’Arménie à expulser l’ambassadrice israélienne [Rivka Cohen, après qu’elle ait nié le génocide arménien]. Pour votre information, l’auteur de cet éditorial, qui est à la tête de l’United Armenian Fund aux Etats-Unis – comparable à notre United Jewish Appeal – a été pendant de nombreuses années délégué à la Commission des droits de l’homme des Nations Unies à Genève ».
Les Arméniens doivent soutenir leurs amis et critiquer leurs adversaires, quelle que soit leur nationalité.