Lénine-Atatürk, Molotov-Ribbentrop. Les erreurs du passé entraîneront l’effondrement de la Russie
En pensant pouvoir mettre Erdogan dans sa poche et de l’éloigner de l’Otan, le président Poutine a commis une erreur stratégique. Il a perdu l’Artsakh et a dû se retirer de cette partie du Caucase et maintenant la Syrie, la Turquie le poignardant dans le dos. Mais le plus important, il a perdu sa crédibilité. Les erreurs du passé auraient dû lui servir de l’exemple.
Varoujan Sirapian
Le président russe Vladimir Poutine a déclaré dans un film documentaire sur « La guerre de la mémoire » d’Andrei Kondrashov que l’accord de Munich de 1938, qui a permis à l’Allemagne, la Pologne et la Hongrie de se partager la Tchécoslovaquie, doit être également condamné comme c’était le pacte Molotov-Ribbentrop.
Le pacte Molotov-Ribbentrop a été condamné au Parlement russe avant l’arrivée de Poutine au pouvoir. Sous Poutine, à mesure que ses ambitions géopolitiques grandissaient, le thème de la « guerre patriotique » et du stalinisme a été sacralisé. À l’heure actuelle, il est devenu la seule « idéologie » de l’État russe après l’effondrement des concepts du monde russe, de l’eurasie et du monde orthodoxe. Poutine ne condamne pas le pacte Molotov-Ribbentrop, mais, il ne peut le justifier dans le contexte de « l’antifascisme », et donc de la coopération étroite de Moscou avec Hitler depuis les années 1930. Poutine dit que l’URSS a dû signer le pacte parce que les principaux pays européens ne se sont pas joints aux propositions de Moscou pour former une coalition anti-hitlérienne. À son tour, le ministère russe des Affaires étrangères a considéré le pacte comme une réussite diplomatique.
En 1921, selon les accords russo-turcs, Kars, Ardahan et Surmalu sont passés en Turquie, Nakhichevan en Azerbaïdjan, et deux ans plus tard, Artsakh a été annexé par l’Azerbaïdjan.
Si l’URSS devait signer ce pacte avec l’Allemagne, comme le prétend Poutine, alors en 1921, la Russie n’était pas obligée de conclure un tel accord avec Mustafa Kemal. Ce fait a ensuite été admis par l’ambassadeur de Turquie à Moscou. Cependant, dans les deux cas il existe des similitudes : la Russie a aidé Kemal et Hitler avec des armes, de l’or et de la nourriture.
« Le pacte Lénine-Kemal doit être condamné, dans la mesure où il a conduit à un drame pour les Arméniens, leur peuple et leur existence politique comme État souverain et indépendant. Les soviétiques ont sacrifié alors l’Arménie, même si plus tard, ils ont essayé de revenir en arrière dans le cadre d’une renaissance et intégration dans l’URSS. »
Jean Geronimo
Universitaire, docteur en économie
Spécialiste des questions économiques et géostratégiques russes
Poutine déclare que Mustafa Kemal était un grand ami de la Russie. Moscou prolonge régulièrement les termes du traité russo-turcs de 1921, affirmant sa fidélité aux Turcs. Après la Seconde Guerre mondiale, Moscou a tenté de se retirer de ce traité et retourner les territoires occupés par la Turquie (l’allié des nazis) au peuple arménien pour sa plus grande contribution à la victoire de cette guerre. Mais cela ne s’est pas produit, les Turcs ont réussi à défendre leurs intérêts à Moscou tout en rentrant dans l’OTAN.
Dans un an, le 100e anniversaire de ces accords expire, accords qui de facto ne s’applique plus dans la situation créée par la victoire arménienne dans les deux guerres de l’Artsakh. Du coup le trio Moscou-Bakou-Ankara s’efforce de limiter la souveraineté de l’Arménie et d’inverser la situation. Malheureusement ce plan est également appuyé, volontairement ou involontairement, par une « armée intérieure » composée de divers hommes politiques, activistes, ONG et de médias de masse.
De nombreux politiciens russes avertissent qu’une telle politique, qui a conduit à l’effondrement de l’Union soviétique, entraînera également l’effondrement de la Russie. Les Turcs feront de même avec Moscou qu’en 1921-23 et 1946. Mais ceci est le problème de la Russie. Les Arméniens ont désormais un État qui légitime internationalement les demandes et les intérêts arméniens.
Les pactes Lénine-Atatürk et Molotov-Ribbentrop devraient être également condamné. D’abord et avant tout en Russie, pour s’éloigner de l’axe du mal séculaire, entrer dans les rangs du monde civilisé et pour un développement économique et humain durable.
Source :
Article paru dans « Europe & Orient », n°30, janvier-juin 2020