L’ego du secrétaire d’État Antony Blinken

par | 9 Juin 2023 | Tribunes libres

L’ego du secrétaire d’État Antony Blinken coûtera des vies aux Arméniens

Paru dans « The Armenian Mirror Spectator ». Traduit de l’anglais par Jean Dorian

 

Les signes avant-coureurs d’atrocité sont au rouge, mais le secrétaire d’État Antony Blinken persiste à forcer la conclusion d’un accord de paix entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan au sujet du Haut-Karabakh, une enclave traditionnellement peuplée d’Arméniens dans ce qui est aujourd’hui l’Azerbaïdjan.

M. Blinken peut considérer un accord de paix comme un succès qu’il peut vanter dans le contexte d’un mandat dépourvu d’autres réalisations, mais les conséquences des actions de M. Blinken seront énormes.

Il pourrait vouloir un prix Nobel de la paix, tout comme le Premier ministre arménien Nikol Pashinyan ou même le président azerbaïdjanais Ilham Aliyev. C’est peu probable, mais si le comité Nobel norvégien l’obligeait, le prix Blinken annoncerait une catastrophe humanitaire, comme l’a fait le comité Nobel en décernant le prix au Premier ministre éthiopien Abiy Ahmed en 2019.

Le plan de paix de Blinken pose d’énormes problèmes.

Les démocraties ne doivent pas intimider leurs compatriotes démocrates pour qu’ils cèdent à la terreur face à l’agression. Le département d’État ne devrait pas non plus démanteler les démocraties et les forcer à se soumettre à la dictature. Plus inquiétant encore, Blinken ignore activement les abus d’Aliyev, alors même que ce dernier incite au génocide et nie la légitimité d’une population entière.

Au fur et à mesure que les terres arméniennes tombaient sous le contrôle de l’Azerbaïdjan, les Azerbaïdjanais ont démoli des églises et détruit un cimetière millénaire. À l’instar des extrémistes palestiniens à l’égard des Juifs en Terre sainte, ils ont nié tout lien historique entre les communautés arméniennes et les terres sur lesquelles elles vivent depuis des milliers d’années, depuis la fondation du premier État chrétien au monde il y a 1 722 ans. C’est pourquoi les restaurateurs azerbaïdjanais sablent les inscriptions arméniennes des églises et insistent sur le fait qu’elles appartiennent à d’anciens Albanais et non à des intrus arméniens.

Le silence de Blinken alors que l’Azerbaïdjan exige que les prêtres arméniens abandonnent le monastère de Dadivank suggère l’indifférence à l’égard de l’éradication culturelle.

Aliyev, quant à lui, trouve du réconfort auprès de sycophantes qui nient toute légitimité à la population arménienne, rejetant leur communauté du Haut-Karabakh comme n’étant pas plus réelle que « Narnia ». Cela dit, le silence de Blinken est la règle plutôt que l’exception. Que ce soit au Nigeria, à propos des Ouïghours, ou dans le Caucase du Sud, Blinken a été le pire secrétaire d’État pour la liberté religieuse, au moins depuis que Cordell Hull a insisté pour renvoyer les Juifs dans l’Allemagne nazie alors que l’Holocauste menaçait.

Depuis la chute de l’Union soviétique, la communauté arménienne du Haut-Karabakh s’est organisée démocratiquement. Freedom House l’a classée plus démocratique que l’Azerbaïdjan, un pays que Freedom House classe parmi les pires dictatures du monde.

Les choses se sont précipitées cette semaine.

Le 28 mai, Aliyev a exigé la reddition du président élu du Haut-Karabakh, mais a laissé entendre qu’il offrirait l’amnistie aux autres administrateurs et élus d’origine arménienne s’ils acceptaient le pouvoir azerbaïdjanais. Bizarrement, le département d’État a fait l’éloge de l’offre d’Aliyev.

Une catastrophe humanitaire se profile alors.

Dès que les Arméniens de souche se placent sous l’autorité d’Aliyev, ils deviennent des sujets azerbaïdjanais sans aucun droit civil ou humain. Aliyev a déjà fait preuve de mépris à l’égard des Arméniens en les soumettant à un blocus de cinq mois portant sur la nourriture, les médicaments et le carburant. Il a séparé des enfants en âge d’aller à l’école primaire de leurs parents et des personnes âgées de leurs soignants en autorisant certains d’entre eux à se rendre en Arménie, pour ensuite leur refuser le droit d’y retourner.

Pendant la guerre du Haut-Karabakh de 2020 et après, les forces azerbaïdjanaises ont adopté la tactique de la terreur. Elles ont diffusé des vidéos de décapitations et de mutilations de prisonniers et de destruction de cimetières pour désensibiliser leur propre population et forcer la fuite des Arméniens.

Si Blinken impose la paix, il faut s’attendre à ce que la tactique azerbaïdjanaise s’accélère.

L’Azerbaïdjan veut peut-être le Haut-Karabakh, mais il ne veut pas de ses habitants. Il traitera la capitale régionale Stepanakert comme les nationalistes serbes ont traité les musulmans bosniaques à Srebrenica. La logique reste la même : assassiner 8 000 personnes, mais en forcer dix fois plus à fuir en exposant l’impuissance des forces de maintien de la paix et des diplomates.

Il est temps de mettre fin à l’équivalence morale. La démocratie devrait être un précurseur de la paix. Il en va de même pour l’incitation à la haine ethnique dans les manuels scolaires et les médias azerbaïdjanais. Retarder la démarcation des frontières jusqu’à la paix ne fait que donner à l’Azerbaïdjan le feu vert pour revenir sur ses engagements.

Sous l’administration Obama, l’ego, la naïveté et l’ambition de Jake Sullivan ont fait le jeu de l’Iran et ont conduit la République islamique au bord de l’explosion nucléaire. Le coût de l’égo, de la naïveté et de l’ambition de Blinken se paiera en dizaines de milliers de vies arméniennes.

 

Ce commentaire a été publié dans le « Washington Times » le 5 juin 2023.