L’Azerbaïdjan refuse de faire la paix avec l’Arménie

par | 3 Déc 2024 | Tribunes libres

Par Levon Zourabian

 

L’Azerbaïdjan a recours au mensonge pour justifier son refus de faire la paix avec l’Arménie

 

L’article suivant est une réponse à un article de Hikmet Hajiyev – le conseiller du président de l’Azerbaïdjan – publié par Newsweek le 16 octobre 2024. Comme je le souligne dans cet article, l’article de Hajiyev était basé sur des mensonges flagrants. On pourrait penser qu’un journal aussi réputé que Newsweek s’empresserait de publier une réfutation d’un tel article, ne serait-ce que pour se prémunir contre les critiques de ses normes. Non seulement il a refusé de le publier, mais il s’est justifié en disant qu’il avait déjà publié une « poignée de réponses », qui, hélas, sont introuvables.

L’Azerbaïdjan a obtenu le droit très convoité d’accueillir une session de haut niveau de la Conférence des Nations unies sur le changement climatique, appelée COP29, à Bakou du 11 au 22 novembre de cette année, grâce à un accord diplomatique avec l’Arménie, qui a vu le retour de 32 prisonniers de guerre arméniens des prisons azerbaïdjanaises. L’accord, conclu le 7 décembre 2023, était alors considéré par la communauté internationale comme une étape vers la conclusion finale d’une paix durable entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan après des décennies de conflit amer entre les deux pays. Aujourd’hui, près d’un an plus tard et quelques jours avant le début de la conférence, il est de plus en plus évident, cependant, que l’adoption par l’Azerbaïdjan d’un accord diplomatique avec l’Arménie n’était rien d’autre qu’une manœuvre tactique visant à nettoyer la position internationale du pays après de multiples actes d’agression contre les Arméniens depuis 2020.

Dans cette optique, l’Azerbaïdjan a récemment lancé une campagne de propagande musclée pour présenter le pays comme celui qui est le fer de lance des efforts visant à instaurer une paix durable dans le Caucase du Sud. Le pays qui a unilatéralement rompu un cessez-le-feu vieux de trois décennies en 2020 et entamé une campagne militaire qui a entraîné la mort de milliers de soldats et le nettoyage ethnique complet de plus de 100 000 Arméniens de leur patrie historique du Haut-Karabakh, ainsi que la saisie de 200 milles carrés de territoire arménien souverain, se dit aujourd’hui prêt pour la paix.

Dans une longue tribune publiée dans Newsweek le 16 octobre, le conseiller en politique étrangère du président de la République d’Azerbaïdjan, Hikmet Hajiyev, affirme que « la paix est à portée de main » et poursuit : « Pourtant, il reste des obstacles majeurs sur notre chemin. Le premier est la Constitution arménienne, qui appelle au rattachement de la région azerbaïdjanaise du Karabakh à l’Arménie. Cette revendication constitutionnelle revancharde a déjà fait obstacle à la paix par le passé : En 1996, le président arménien de l’époque a refusé de signer la déclaration finale lors d’un sommet de l’OSCE, arguant que la Constitution arménienne ne permettait pas la signature d’un document international reconnaissant le Karabakh comme faisant partie du territoire de l’Azerbaïdjan ».

L’affirmation de M. Hajiyev ne repose sur aucune réalité et ne peut rester sans réponse. Ayant participé de près au processus de négociation à l’époque et étant bien informé à ce sujet, je me sens obligé de rétablir la vérité. Voici les faits réels :

En 1996, lors du sommet de l’OSCE à Lisbonne, le président [de l’Arménie Levon] Ter-Petrossian a fait la déclaration suivante au cours du débat de la session plénière (l’allocution complète peut être consultée ici) : « Nous sommes profondément convaincus que si la question du Karabakh est résolue sur la base des principes proposés par l’Azerbaïdjan, le peuple du Haut-Karabakh sera sous la menace permanente d’un génocide ou d’une expulsion forcée. L’expérience des pogroms anti-arméniens à Soumgaït (février 1988), Kirovabad (novembre 1988) et Bakou (janvier 1990) ainsi que l’expulsion des habitants de 24 villages arméniens du Karabakh (mai-juin 1991) montrent clairement que l’Azerbaïdjan, malgré toutes ses assurances, n’est pas en mesure de fournir des garanties de sécurité à la population du Haut-Karabakh. Nous pensons donc que le seul moyen d’éviter une nouvelle tragédie est de respecter le droit du peuple du Haut-Karabakh à l’autodétermination ». Comme vos lecteurs peuvent le constater, il n’est pas fait mention de la Constitution arménienne dans cette déclaration.

La position de la délégation arménienne est également reflétée dans la déclaration finale de Lisbonne du sommet, à l’annexe II (page 16). Bien qu’elle parle de la nécessité de respecter le droit à l’autodétermination du Haut-Karabakh et déclare que la solution proposée est en contradiction avec la décision de 1992 du Conseil ministériel de l’OSCE, elle ne fait pas non plus référence à la Constitution arménienne.

En fait, aucune délégation arménienne n’a jamais fait référence à la Constitution arménienne dans l’ensemble du processus de négociations avec l’Azerbaïdjan sur le conflit du Haut-Karabakh.

Le 26 octobre de cette année, la Cour constitutionnelle d’Arménie a statué que les accords arméno-azerbaïdjanais sur la délimitation des frontières mutuelles sur la base des frontières internationalement reconnues de 1991 n’étaient pas en contradiction avec la Constitution arménienne, soulignant une fois de plus qu’aucune disposition de celle-ci ne pouvait être interprétée comme contenant des revendications territoriales au-delà de ces frontières.

Tout ceci démontre clairement que l’Azerbaïdjan a recours à des mensonges facilement réfutables afin de justifier son refus de faire la paix avec l’Arménie et de clore une fois pour toutes cette page tragique de l’histoire des conflits et des guerres dans le Caucase du Sud.

Les autres arguments de Hajiev concernant les obstacles à la paix ne sont pas meilleurs. Ses références à « la militarisation intensive de l’Arménie par la France et d’autres pays occidentaux » et « le chœur pour libérer les chefs de guerre qui ont commis des crimes odieux contre les civils azerbaïdjanais » comme les deux autres « obstacles majeurs » sur le chemin de la paix ne sont pas plus crédibles que les excuses au sujet de la Constitution arménienne. Tout ce que l’Arménie a acquis auprès de la France (et je ne connais aucun autre pays occidental qui vende des armes à l’Arménie) vise à reconstruire ses défenses contre un Azerbaïdjan de plus en plus agressif. Ces acquisitions sont d’ailleurs bien inférieures à ce que l’Azerbaïdjan achète à la Turquie, à Israël, à l’Italie, à la Serbie et au Pakistan.

Et ce n’est pas « le refrain pour libérer » les détenus arméniens qui empoisonne l’atmosphère entre les deux pays, comme l’affirme Hajiyev, mais le refus de l’Azerbaïdjan de libérer tous les prisonniers de guerre arméniens en violation de l’accord de cessez-le-feu trilatéral du 9 novembre 2020, torturant les prisonniers de guerre et gardant les dirigeants du Haut-Karabakh dans les prisons azerbaïdjanaises uniquement pour leur « crime » d’exercer le droit du peuple du Haut-Karabakh à l’autodétermination.

L’Azerbaïdjan s’est emparé de plus de 200 kilomètres carrés de territoire arménien souverain en 2022, c’est-à-dire deux ans après la fin des hostilités majeures. Deux ans après la fin des hostilités majeures dans le Haut-Karabakh, ses représentants officiels se réfèrent régulièrement à l’Arménie comme à l’Azerbaïdjan occidental, envoyant des signaux alarmants d’intentions révisionnistes à l’égard de l’Arménie, sa propagande d’État alimente systématiquement la haine envers les Arméniens, son régime persécute les opposants politiques, allant parfois jusqu’à les kidnapper dans les pays où ils ont trouvé refuge ou à les tuer, et il viole massivement les droits de l’homme et les libertés fondamentales de ses citoyens. L’Azerbaïdjan est devenu la menace la plus importante pour la sécurité et la démocratie dans le Caucase du Sud.

Un véritable obstacle à la paix.

Source :
https://mirrorspectator.com/2024/11/23/azerbaijan-resorts-to-lies-to-justify-its-unwillingness-to-make-peace-with-armenia/
Traduit de l’anglais par Jean Dorian

 

Levon Zourabian est vice-président du Congrès national arménien et ancien conseiller et porte-parole principal du président arménien de 1994 à 1998.
2024© Copyright Institut Tchobanian