L’âge d’or de la Turquie en Asie centrale

par | 8 Jan 2025 | Analyses, Tribunes libres

L’âge d’or de la Turquie en Asie centrale et l’avenir de l’Organisation des États turcs

 

Alors que le monde se concentre sur la Russie et sa guerre en Ukraine, la Chine a étendu son influence grâce à l’initiative « la Ceinture et la Route », alors que l’Iran se retire politiquement et militairement du Levant. La Turquie, par l’intermédiaire de l’Organisation des États turcs (OET), étend son empreinte en Asie centrale. Ankara cherche à accroître son influence politique et économique sur la région en promouvant la stabilité régionale et en renforçant ses liens. Ces objectifs peuvent être classés comme suit :

  • Le pan-turquisme : La Turquie se considère comme le chef des peuples turcophones du Caucase du Sud et de l’Asie centrale. À l’aide de divers outils et stratégies, la Turquie vise à renforcer ses liens culturels, historiques et linguistiques. Par exemple, en septembre 2024, l’Académie turque a convenu d’un alphabet commun de 34 lettres qui aiderait les 170 millions de Turcs du monde entier à se comprendre et à coopérer plus efficacement.
  • L’OTS est également un autre moyen pour la Turquie de se positionner dans un rôle vital au sein de la dynamique politique régionale. L’Asie centrale cherche à équilibrer ses relations avec la Russie et la Chine, tandis que les États-Unis s’efforcent de saper leur influence, ce qui fait de la Turquie un partenaire attrayant pour les États d’Asie centrale qui cherchent à diversifier leurs relations étrangères et à éviter de dépendre d’une seule puissance extérieure. Ces États s’engagent dans des forums multilatéraux tels que l’OTS et renforcent leurs liens bilatéraux, comme lorsque la Turquie et le Kazakhstan ont signé un accord pour devenir des partenaires stratégiques.
  • Sur le plan énergétique, la Turquie espère également diversifier ses sources d’énergie, et l’Asie centrale semble être la mieux placée pour jouer ce rôle. Riche en ressources naturelles, notamment en gaz et en pétrole, l’Asie centrale a incité la Turquie à investir dans des projets tels que le gazoduc transanatolien (TANAP). La Turquie espère également devenir une plaque tournante du transit régional en investissant dans les routes, les chemins de fer et les oléoducs.
  • La Turquie a signé plusieurs accords commerciaux avec des pays d’Asie centrale pour faciliter le transport des marchandises, comme l’accord de libre-échange (ALE) avec le Kazakhstan en 2016 pour le commerce des machines, de l’électronique et des textiles, entre autres produits. Les exportations turques ont été stimulées par des discussions avec d’autres États d’Asie centrale, comme l’accord de juin 2024 avec Tachkent visant à approfondir leur partenariat stratégique.
  • Enfin, les efforts de la Turquie pour relier le « corridor de Zangezur » au « corridor du milieu » revêtent une importance considérable, car ils affaiblissent encore l’Arménie en facilitant les échanges entre la Turquie et l’Azerbaïdjan. La liaison de ces deux corridors alimenterait également l’influence turque en Asie centrale, renforçant ses liens avec l’Azerbaïdjan tout en offrant à l’Asie centrale un meilleur accès aux marchés européens et en renforçant ses propres liens économiques avec ces pays. Cela pourrait également réduire l’influence de la Russie et de l’Iran dans la région.

Les motivations géopolitiques de l’OTS

L’OTS est un outil utile pour Ankara dans la réalisation de ses objectifs géopolitiques dans la région. Le 12 novembre 2021, les chefs d’État de l’OTS ont approuvé, lors de leur 8e sommet, la Vision 2040 du monde turc, qui contient des orientations et des objectifs clés en matière de politique, de sécurité, d’économie, de coopération sectorielle (notamment dans les domaines de l’agriculture, de la santé, de l’énergie et des transports), de coopération entre les peuples (notamment dans les domaines de la culture, de l’éducation, de la jeunesse, de la diaspora et des médias) et de coopération avec les parties extérieures.

L’OTS, anciennement appelé Conseil de coopération des États de langue turque, comprend la Turquie, l’Azerbaïdjan, le Kazakhstan, l’Ouzbékistan et le Kirghizstan, ainsi que la Hongrie, le Turkménistan et la zone de Chypre du Nord occupée par la Turquie, qui ont le statut d’observateurs. Depuis sa création en 2009, l’OTS a pour objectif d’institutionnaliser la coopération entre les États membres par le biais de projets de développement conjoints et de traiter les questions régionales et mondiales auxquelles les États membres sont confrontés par le biais d’un mécanisme de coopération.

Ses principaux objectifs sont résumés ci-dessous :

  • Promouvoir la culture et les valeurs turques et réaliser l’unité de l’alphabet. Permettre aux communications de la diaspora de protéger l’identité turque et « d’agir dans l’unité sur les questions liées au monde turc ». Établir un espace commun d’information et de médias turcs en institutionnalisant la coopération dans les médias pour lutter contre la désinformation.
  • Travailler ensemble sur les plateformes internationales et à l’ONU pour proposer des réformes.
  • Créer un réseau de coopération et d’échange d’informations pour lutter contre « les menaces de radicalisme, d’extrémisme violent, d’islamophobie, de xénophobie et de terrorisme et pour assurer la sécurité des frontières ».
  • Accélérer les opérations de transport le long de la route internationale de transport transcaspienne, en faisant de la région un centre de transit économique est-ouest et en contribuant à la stabilité économique régionale et mondiale.
  • Promouvoir la création de zones économiques et les investissements intrarégionaux.
  • Promouvoir conjointement le corridor de Zangezur sur diverses plateformes économiques internationales.
  • Développer des projets stratégiques le long des corridors Bakou-Tbilissi-Ceyhan, Bakou-Tbilissi-Erzurum, du corridor gazier méridional et du TANAP afin d’offrir des itinéraires alternatifs et de contribuer à la sécurité énergétique européenne et mondiale. Institutionnaliser la coopération énergétique entre les États membres et établir un marché énergétique turc intégré.
  • Renforcer les liens entre les groupes de réflexion de l’OTS et créer un « réseau de groupes de réflexion du monde turc ».

L’OTS peut-elle devenir une « OTAN turque » ?

L’OTS a-t-elle une dimension sécuritaire ? Vasif Huseynov, du Centre AIR de Bakou, affirme que l’expansion de la coopération en matière de défense entre les membres de l’OTS reflète un désir de donner la priorité à la sécurité mutuelle et à l’alignement stratégique. La Turquie vise à intégrer son industrie de défense à l’infrastructure de défense des États membres. L’Azerbaïdjan est le fer de lance de cette idée, le président Ilham Aliyev ayant déclaré lors de sa réélection que l’OTS serait l’une des priorités de son administration.

Il est intéressant de noter qu’en décembre 2022, le Kazakhstan et l’Ouzbékistan ont signé le Traité des relations alliées, qui renforce les liens bilatéraux et interdit de rejoindre un bloc ou une union qui menace l’autre État. Huseynov établit un parallèle entre l’accord de Tachkent et l’accord de Chouchi signé entre Ankara et Bakou en juin 2021, dans lequel les parties s’engagent notamment à se soutenir mutuellement en cas d’attaque de l’une d’entre elles. Les entreprises de défense turques sont également actives en Azerbaïdjan et au Kazakhstan et sont désireuses de s’étendre à d’autres États turcs.

Toutefois, la formation d’une alliance de type OTAN au sein de l’OTS n’est pas une tâche aisée. La Russie, l’Iran, la Chine et l’Inde n’accepteraient pas l’émergence d’un bloc militaire fort dans une région riche en énergie ou une région de transit clé. L' »OTANisation » de l’OTS est un chemin long et difficile. Toutefois, les pactes de défense bilatéraux entre Ankara et les républiques d’Asie centrale pourraient ne pas être une exception dans les années à venir. L’OTS reste néanmoins un acteur régional et économique clé aux côtés d’autres blocs économiques et de sécurité, tels que l’Union économique eurasienne et l’OTSC, dirigées par la Russie, et l’Organisation de coopération de Shanghai, dirigée par la Chine, dont certains États turcs sont des membres importants.

Réflexion

La Turquie tâtonne lentement le terrain dans le Caucase du Sud et en Asie centrale. Tout d’abord, elle espère faire pression pour la réussite du « corridor du milieu » et se présenter comme le seul pont terrestre reliant l’Europe à la Chine, augmentant ainsi son influence sur les deux acteurs. Deuxièmement, elle fait pression pour la mise en place du « corridor de Zangezur » afin de contenir l’Iran et d’accroître son influence en Asie centrale. La Turquie reconnaît les rôles importants de la Russie et de la Chine dans la région et gère soigneusement ses relations avec ces puissances tout en maintenant sa présence. Le corridor du milieu, en particulier, offre une alternative stratégique à la domination russe sur les routes commerciales eurasiennes.

Enfin, la Turquie continuera d’intégrer sa structure militaire à celles de l’Asie centrale en organisant des exercices militaires, en fournissant une aide militaire et en concluant des accords de sécurité. Le principal objectif à long terme d’Ankara et de Bakou est d’établir une alliance de sécurité de type OTAN entre les États turcs. Certains acteurs extérieurs pourraient soutenir cette idée dans le but de contenir l’influence chinoise, bien que l’on puisse se demander si l’Asie centrale souhaite faire partie de cette stratégie d’endiguement, étant donné l’influence économique croissante de la Chine et la diversité politique et des systèmes étatiques dans le monde turc. Alors que la Turquie connaît un « âge d’or » et étend ses tentacules de l’Afrique à l’Asie centrale, elle ne dispose pas (du moins, sans soutien étranger) des ressources nécessaires pour diriger un bloc de sécurité et n’est pas prête à affronter la Russie, la Chine et l’Iran dans une région stratégique clé, loin de ses frontières immédiates.