La force d’Abdelghani et la faiblesse des politiques.

par | Déc 21, 2012 | Tribunes libres

Merah/Safarov


La force d’Abdelghani et la faiblesse des politiques.
Varoujan Sirapian
 

« Je veux dénoncer la haine dans laquelle on a été élevés, la haine que les amis salafistes de mes frères leur ont transmise, dénoncer l’innommable que mon frère a commis.« 



Les propos d’Abdelghani Merah sont dénués d’ambiguïté. Il a coécrit un livre, avec le journaliste Mohamed Sifaoui, dans lequel il relate l’itinéraire de son frère Mohamed, « le tueur au scooter », en insistant sur l’influence de son autre frère, Kader, et de sa soeur, Souad, tous deux militants salafistes. Il entend démontrer que la « vocation de son frère » n’est pas née d’un quelconque voyage ou d’une révélation, mais bien de l’endoctrinement dans lequel l’a maintenu son frère Abdelkader.
Abdelghani n’accepte pas cette folie et ne lui trouve aucune excuse. Il s’est marié avec une jeune femme juive, ce qui lui a valu sept coups de couteau de la part de Kader. « Mon frère n’est pas un héros, c’est un vulgaire assassin », dit-il à l’enterrement de Mohamed. Il faut une certaine force pour dire les choses si clairement, sans langue de bois, des principes inflexibles, accepter même le rejet de sa famille et de ses amis, ne pas avoir peur des menaces de mort qui lui sont proférées. On ne peut qu’approuver cette posture intellectuellement honnête et humaniste.
On était en droit d’attendre la même droiture, le même courage, la même fidélité aux valeurs républicaines de la part des hommes et femmes politiques français dans l’affaire Safarov. Au départ c’est un crime raciste et xénophobe. En 2004, un officier azéri, Safarov, assassine à coups de hache un militaire arménien, Gurgen Margaryan, dans son sommeil, lors d’un stage «partenariat pour la paix» organisé par l’OTAN, à Budapest. Il est condamné à 25 ans de prison ferme. Or huit ans plus
tard, le lieutenant Safarov est accueilli en héros dans son pays, l’Azerbaïdjan. Extradé par la Hongrie, il est arrivé à Bakou le 31 août.
Gracié par le chef de l’État, Ilham Aliev, fêté en héros, Safarov, aujourd’hui âgé de 35 ans, se voit offrir une maison au centre de Bakou, une promotion au grade de commandant ainsi que le cumul de huit années de traitement – soit la durée de son incarcération ! En récompense de ses actes… L’Azerbaïdjan s’était pourtant officiellement engagé à lui faire purger la fin de sa peine, et l’affaire provoque un concert de protestations internationales, de Moscou à Washington, en passant par les capitales européennes.

Au début du mois de septembre, l’Institut Tchobanian a adressé une lettre à chacun des députés et sénateurs français membres du groupe d’amitié France-Caucase/Azerbaïdjan, au total 68 élus, pour connaître leurs opinions, s’ils (ou elles) condamnaient ce déni de justice et éventuellement s’ils (ou elles) souhaitaient rester dans ces groupes d’amitié après cet incident.
Seuls trois sénateurs ont répondu à cette lettre. Les 65 élus qui n’ont pas répondu ne peuvent pas dire que cette affaire ne les concerne pas. Sont impliqués dans cette histoire la Hongrie (membre de l’UE), l’OTAN (dont la France fait partie) et l’Azerbaïdjan (qu’ils connaissent à travers leurs groupes d’amitié).
Donc motus et bouche cousue pour ces 65 élus de la République française.
Pas un mot pour dénoncer ce crime, même pas un petit mot de compassion, Pourtant il ne fallait pas un grand courage pour condamner cet acte honteux, clairement raciste et xénophobe. Rien à voir avec le courage dont a fait acte Abdelghani en dénonçant la dérive meurtrière de son frère, condamnant la haine des salafistes envers l’occident. Ces élus qui se précipitent à la moindre occasion devant les micros et sur les plateaux de TV pour anathématiser l’injustice, la main sur le cœur, le racisme et la haine de l’autre ont préféré garder la bouche fermée devant cette injustice-là.
C’est peut-être pour mieux l’ouvrir quand ils (elles) seront au bord de la Caspienne pour déguster le caviar et le champagne offerts par le dictateur de Bakou.

Bon appétit, mesdames et messieurs les élus !

Éditorial paru dans Europe&Orient n°15- L’Hiver islamiste. (décembre 2012)