Génocide arménien : l’offense envers les dieux ?

par | 9 Fév 2024 | Tribunes libres

A l’occasion de la disparition de Robert Badinter nous reprenons un article de J.V. Sirapian en réponse à ce dernier qui avait oeuvré pour capoter la loi pénalisant la négation du génocide arménien. Article publié le 27/01/2012 dans Huffington Post

Génocide arménien : l’offense envers les dieux?

 

Les détracteurs de cette loi n’ont jamais pu répondre à cette question : « En France il y a deux génocides reconnus, la Shoah et le Génocide arménien. La négation du premier est punissable. Serait-il normal que l’autre ne soit pas protégé ?

Dans un article publié sur le site du Huffington Post, sous le titre, « Génocide arménien : la pitié dangereuse », Robert Badinter ressasse les arguments maintes fois répétés par les opposants acharnés de la loi qui vient d’être votée par le Sénat, le 23 janvier, après sept heures et demie de débats.

Les mêmes arguments appellent les mêmes réponses que nous essayerons d’apporter ici sur les trois points évoqués par M. Badinter.

I.

Dans la première partie de son article, l’ancien Garde des Sceaux écrit :
Et propose un scénario où un fonctionnaire ou publiciste turc interrogé en France nierait l’existence du génocide arménien et de ce fait poursuivi devant la justice.

Or à cet argument, Vincent Coussirat-Coustère, agrégé de droit public, a déjà répondu dans un article publié dans Le Monde du 17 janvier dernier.
Par ailleurs les détracteurs de cette loi n’ont jamais pu répondre à cette question : « En France il y a deux génocides reconnus, la Shoah et le Génocide arménien. La négation du premier est punissable. Serait-il normal que l’autre ne soit pas protégé ? »

II.

Dans la deuxième partie de son article M. Badinter écrit :

« Que le Parlement n’ait pas compétence pour dire l’histoire, tout a été dit excellemment à ce sujet par Pierre Nora et les membres de l’association Liberté pour l’histoire. Seuls les régimes totalitaires acceptent une histoire « officielle » fixée par le pouvoir et imposée par le juge. La justice française offre d’autres moyens pour condamner les faussaires de l’histoire, qui manquent au devoir scientifique de probité intellectuelle, de sérieux et d’objectivité dans leurs travaux. Mais il n’appartient pas à des parlementaires français de se substituer aux historiens et aux juges en proclamant dans une loi française qu’un crime de génocide a été commis en Asie mineure il y a un siècle. »

Deux réponses à ces deux affirmations fallacieuses, mais entendues à plusieurs reprises lors des débats, aussi bien à l’Assemblée nationale qu’au Sénat.

D’abord par les votes du 18 décembre et du 23 janvier le Parlement ne « dit pas l’histoire » et l’affirmation de Pierre Nora n’est pas vraie. Ce vote « dicte la loi » et protège les citoyens français (d’origine arménienne, mais pas seulement) vis-à-vis des actions plus ou moins violentes des groupes de jeunes, d’origine turque, ultra-nationalistes dont les opérations sont téléguidées par Ankara.

Ensuite l’argument d’une histoire « officielle ». Si on aborde ce sujet il faut dire que l’histoire officielle a été mise en place en Turquie par Mustafa Kemal dans les années 1930-31 et l’Institut qui veille à son application stricte porte le nom de TTK (Türk Tarih Kurumu). A l’instar du Coran, qui ne laisse aucune possibilité d’interprétation de l’Islam, l’histoire officielle turque ne tolère aucune dérive par rapport aux dogmes d’Atatürk et plus particulièrement sur le génocide arménien « qui n’a jamais existé ». D’ailleurs pour ceux qui sont attirés par le miroir aux alouettes d’un hypothétique « Comité des historiens » proposé par la Turquie, y compris notre Ministre des Affaires étrangères, il faudra rappeler les mots du PM Erdogan prononcés le 15 décembre dernier : « Aucun historien ne peut trouver la trace d’un génocide dans notre histoire ! » Fin de la discussion.

III.

Enfin dans la troisième et dernière partie M. Badinter s’égare quand il écrit : « Cette hubris du Parlement français ne manquera pas d’appeler des réactions contre la France. » Hubris mot utilisé par les anciens Grecs, signifiant démesure, outrance dans le comportement, insulte, sentiment violent né de l’orgueil pouvant conduire à la faute majeure : l’offense envers les dieux ! Ouah ! Rien que ça ! En votant cette loi le Parlement français aurait offensé les dieux ? Ceux de l’argent ? M. Badinter met-il la Turquie sur un piédestal digne des dieux ?

« Nous pouvons appeler les autorités turques à revisiter leur histoire comme d’autres états en Europe l’ont fait » écrit-il. Oui, c’est que nous les exilés, (Arméniens, mais aussi Kurdes, Alévis, Assyro-Chaldéens…), à l’extérieur, et des démocrates et progressistes à l’intérieur du pays, essayons de faire depuis des décennies. Non pas dans nos tours d’ivoires et des bureaux feutrés situés dans les quartiers chics de Paris, mais sur le terrain. Cette incitation à revisiter l’histoire pourrait marcher dans un pays normal. Mais un pays qui fait fuir même son prix Nobel de littérature, parce qu’il a osé parler des massacres des Arméniens et des Kurdes, un pays où Hrant Dink, un journaliste et humaniste, qui voulait jeter les ponts entre les deux peuples a été assassiné en plein jour par un nationaliste de 17 ans, manipulé par l’État profond, un pays ou après cinq ans de procès les vrais instigateurs de ce meurtre ont été libérés… ne peut être considéré comme un pays normal.

Et s’il vous plaît ne sortez pas cet argument pitoyable de la possibilité d’une loi qui serait votée par le Parlement turc pour accabler la France et son histoire. La meilleure réponse à cet argument a été donnée par un Algérien qui rappelait au PM Erdogan les trois siècles de domination ottomane féroce (1530-1830) qui a laissé des traces indélébiles.

On peut combattre les thèses négationnistes des individus par des contre-arguments mais face à un négationnisme d’État il n’y a qu’une seule parade : la loi.

Source : https://www.huffingtonpost.fr/actualites/article/genocide-armenien-l-offense-envers-les-dieux_333.html