Suite à mon précédent papier, je pense que l’article qui suit – basé sur une analyse de l’éditorialiste turc Mehmet Yilmaz – apporte quelques éclaircissements utiles
« Erdoğan n’a pas l’intention de rejoindre l’UE », note le chroniqueur turc, Mehmet Yilmaz dans une analyse publiée par le journal en ligne T24 (12.07.23 t24.com.tr).
Mehmet Yilmaz déclare que le président turc Recep Tayyip Erdoğan n’a pas l’intention de rejoindre l’Union européenne et qu’il n’est pas intéressé par la démocratisation de la Turquie.
« Après la déclaration d’Erdoğan demandant l’adhésion de la Turquie à l’UE en échange de l’approbation par la Turquie de l’adhésion de la Suède à l’OTAN, le seul qui a répondu positivement a été le secrétaire général de l’OTAN, qui n’a aucune autorité (en principe,nda) sur l’UE. Le chancelier allemand, l’un des deux pays dont la parole sur l’UE peut être prise au sérieux, a déclaré qu’il n’y avait aucun lien entre le processus d’adhésion de la Turquie à l’UE et l’adhésion de la Suède à l’OTAN, tandis que la France n’a pas réagi. Et le ministre des Affaires étrangères du Luxembourg a déclaré que « la porte de l’UE est ouverte à la Turquie depuis 2005, tant que la Turquie remplit les conditions qui ont été fixées, notamment en ce qui concerne le respect des droits de l’homme et de l’État de droit ». »
Yılmaz se demande s’il est possible qu’Erdoğan ne sache pas ces choses. Et il répond en disant : « Bien sûr qu’il les connaît ». Et il poursuit : « Un autre fait qu’Erdoğan savait était qu’il n’avait plus le pouvoir de s’opposer à l’adhésion de la Suède à l’OTAN. Il ne pouvait pas tenir tête à l’Europe et aux États-Unis tout en priant pour les investissements étrangers et l’argent spéculatif. En tant que « leader mondial » (le président turc se rêve en tant que tel, nda), bien sûr, il ne pouvait pas dire cela. Il a donc combiné la question de l’adhésion de la Suède à l’OTAN avec la question sans rapport de l’adhésion de la Turquie à l’UE. »
Pourquoi Erdoğan a-t-il fait ce geste ? Parce qu’il est persuadé d’être en mesure de convaincre les Turcs qu’il a gagné beaucoup en échange de l’acceptation de l’adhésion de la Suède, écrit encore Yilmaz.
L’opposition, turque est désorganisée et ébranlée par la défaite aux dernières élections et elle est incapable d’expliquer au peuple turc ce qui se passe. En plus, les médias turcs contrôlés par l’AKP célèbrent la « victoire » du président…
Selon Yilmaz, l’un des avantages de cette démarche diplomatique est que « la Suède soutiendra la libéralisation des visas pour les citoyens turcs de l’UE ».
La libéralisation des visas faisait partie de l’accord de réadmission des migrants signé sous le mandat de Premier ministre d’Ahmet Davutoglu. En vertu de l’accord, la Turquie devait remplir certaines conditions pour la levée de l’obligation de visa imposée par les pays de l’UE aux citoyens turcs. Certaines conditions « faciles » ont été remplies immédiatement, mais les conditions « dures » sont restées et c’est pourquoi l’accord n’est pas entré en vigueur depuis des années.
En effet, l’UE veut clarifier la définition que les autorités turques ont sur les crimes terroristes afin de lever l’obligation de visa. Mais le flue persiste en Turquie permettant ainsi au gouvernement islamo-conservateur d’accuser et d’emprisonner opposants, Kurdes, minoritaires, etc. C’est ainsi que le régime d’ Erdoğan a emprisonné Osman Kavala, Selahattin Demirtas, les manifestants du parc Gezi et les généraux qui ne suivaient pas la politique de l’AKP, etc, la liste est longue…
Le journaliste poursuit en soulignant que « cette question ne peut pas être résolue car il faudrait alors inventer d’autres délits pour mettre en prison ceux qui n’aiment pas le leader de l’AKP, ce qui n’est pas si facile. Un autre problème est la protection des données personnelles. L’UE souhaite que le conseil chargé de suivre cette question soit « indépendant ». Cependant, selon le règlement mis en place par Erdoğan lui-même, quatre membres du conseil sont choisis par le président et cinq membres sont choisis par le Parlement, où le parti du président a la majorité. Où est l’indépendance ? »
« Même si les médias du Parti de la justice et du développement (AKP) tentent de présenter cette politique d’Erdoğan comme un « succès diplomatique », la vérité est qu’Erdoğan n’a pas l’intention de rejoindre l’UE », conclut Yilmaz.
Je pense que le président turc dans son délire mégalo de devenir un leader d’envergure mondiale tente de jouer sur tous les tableaux et influencer la politique à tous les niveaux : entre son amitié/rivalité avec la Russie et l’ambiguïté de sa position dans le conflit ukrainien, le chaud et le froid qu’il souffle dans ses relations avec les États-Unis et la volonté non confirmée de rejoindre l’Union européenne… Sur ce dernier point Erdoğan souhaite probablement l’adhésion, mais à condition que cette dernière se conforme aux dictats turcs et devienne turco-compatible…