Le conflit du Haut-Karabagh :
LA COMMUNAUTÉ ARMENIENNE DE TURQUIE SOUS HAUTE PRESSION
Céline Pierre-Magnani, La Libre Belgique, 12 octobre 2020
Dans la vitrine de ce bijoutier arménien du célèbre Grand Bazar d’Istanbul, la multitude de pendentifs en forme de colombe blanche pourrait faire figure de programme politique. Depuis le début des hostilités entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan le dimanche 27 septembre dans la région du Haut-Karabagh, le conflit a enflammé la Turquie et les Arméniens de Turquie. Le cessez-le-feu conclu samedi 10 octobre ne les rassure que provisoirement tant la situation a un air de déjà-vu.
« Je ne veux plus parler pour la communauté. Cela ne nous attire que des ennuis. Je n’ai plus aucun espoir d’amélioration de toute façon », soupire le commerçant, las, au fond de sa boutique. « À quoi bon se
battre ? Personne ne l’emporte contre des moulins à vent », lâche-t-il en baissant les yeux. Ici, dans le dédale des rues, nombre de commerçants d’origine arménienne partagent son avis. Pour vivre en paix en Turquie, il y a deux sujets à ne pas aborder : la politique et la religion. Alors, pour les minorités, la discrétion est de mise.
battre ? Personne ne l’emporte contre des moulins à vent », lâche-t-il en baissant les yeux. Ici, dans le dédale des rues, nombre de commerçants d’origine arménienne partagent son avis. Pour vivre en paix en Turquie, il y a deux sujets à ne pas aborder : la politique et la religion. Alors, pour les minorités, la discrétion est de mise.
Union nationale derrière l’Azerbaïdjan
À l’exception du parti pro-kurde du HDP (Parti démocratique des peuples), l’ensemble de la classe politique a apporté son soutien à l’Azerbaïdjan, un élan panturquiste revendiqué (la coalition gouvernementale considère le peuple azerbaïdjanais comme le prolongement de la nation turque dans le Caucase). Des convois de véhicules affichant le drapeau de l’Azerbaïdjan ont défilé ces derniers jours aux abords de bâtiments arméniens et grecs à Istanbul en un signe de défi. Des manifestations belliqueuses contre lesquelles seules quelques voix osent s’élever.
« Depuis que le conflit a commencé, voici deux semaines que l’ensemble des médias, la classe politique, la société turque ont recours à un discours hostile contre les Arméniens », déplore Yetvart Danzikyan, le rédacteur en chef de l’hebdomadaire arménien Agos. « Bien évidemment, cette situation est particulièrement compliquée pour les Arméniens qui vivent en Turquie. Ils se sentent étouffés, oppressés. Nous sommes sur nos gardes en permanence, comme s’il pouvait nous arriver quelque chose à tout moment », conclut-il.
L’assassinat du journaliste arménien Hrant Dink (en 2007 par des réseaux ultranationalistes) est gravé dans toutes les mémoires et la communauté craint pour la sécurité des figures qui osent s’opposer aux conflits dans l’espace public.
« Dès que la guerre a commencé, j’ai fait un appel à la paix, mais le pouvoir ne veut pas que les discours pacifistes se répandent », explique Garo Paylan, député HDP d’origine arménienne, que La Libre Belgique a pu rencontrer au siège du parti au centre d’Istanbul. « J’ai été la cible de discours de haine dans les journaux proches du pouvoir. Ils me menacent, m’accusent de trahir la nation. Je suis dans le viseur.”
Une campagne de soutien au député a été lancée sur les réseaux sociaux sous le hashtag #GaroPaylaN’estPasSeul pour contrebalancer les discours de haine diffusés dans l’espace public.
Vaine pression internationale
Bien que la communauté arménienne de Turquie ne compte pas plus de 60 000 âmes, elle continue de générer des crispations dans le champ politique. L’État turc refuse de qualifier de « génocide » les massacres de 1915 qui ont conduit à l’assassinat de plus d’un million d’Arméniens (l’évaluation du nombre de victimes fait l’objet de débats entre historiens). Les pressions internationales pour la reconnaissance du génocide nourrissent un discours nationaliste qui voit ces tentatives comme une volonté de déstabiliser le pays et accuse les Arméniens d’être des ennemis de l’intérieur.
Des agents de police ont été placés devant les églises et écoles arméniennes pour prévenir les débordements. Mais Garo Paylan ne se fait pas d’illusions :
« Je ne pense pas que ce sont les précautions de sécurité de l’État qui nous sauveront. Car les personnes qui mettent en place ces mesures sont les mêmes qui jouent la politique de la haine. La
seule chose qui peut nous protéger, c’est de faire cesser cette politique, de miser sur une politique de pacification. Je continuerai à porter la voix de la paix. Quel qu’en soit le prix.”
Source : https://www.info-turk.be