Formation des diplomates français et arméniens
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En France il y avait à mon arrivée au M.A.E en 1970 deux filières de recrutement sur concours pour l’entrée dans la carrière diplomatique : l’ENA et les concours d’accès direct, général ou orient, ce dernier supposant la connaissance de langues orientales (russe + une langue d’Europe de l’Est ; chinois ou japonais ; arabe).
Ces modes de recrutement tout en assurant un très bon niveau (concours ultra-sélectifs) n’étaient pas exempts de critiques. À la sortie de l’ENA l’affectation au MAE reposait d’abord sur le rang de sortie (dans les 25 premiers sur une promotion de 150) avant d’être dictée par une vraie vocation. On a vu certains énarques frais émoulus de l’École choisir le Quai d’Orsay avec la ferme intention de ne pas quitter Paris et sans appétence aucune pour l’apprentissage des langues étrangères. Quant au concours Orient, il recrutait de bons connaisseurs de langues orientales ou rares dont ils perdaient rapidement la maîtrise faute d’affectation durable dans les zones géographiques correspondantes, préférant Londres ou Washington à un exotisme qu’ils jugeaient sans doute réducteur de leurs talents. De son côté la direction du personnel ne veillait pas toujours à cette adéquation entre connaissances linguistiques et affectation.
Avec la disparition de l’ENA, le recrutement des diplomates français se concentrera nécessairement sur des concours spécialisés dont les formations sciences politiques et droit demeureront la colonne vertébrale, mais avec davantage d’ouverture sur l’économie, le commerce, l’écologie, les nouvelles technologies et la diversité de la société civile.
Pour un pays comme l’Arménie, les enjeux de la diplomatie ne se présentent pas différemment mais avec une acuité plus grande dans ces différents domaines.
L’outil diplomatique arménien a besoin de juristes internationaux de premier plan pour aborder des domaines aussi complexes et vitaux que celui des frontières extérieures du pays, des droits de l’homme, des menées génocidaires qui perdurent encore.
L’outil diplomatique arménien a besoin de juristes internationaux de premier plan pour aborder des domaines aussi complexes et vitaux que celui des frontières extérieures du pays, des droits de l’homme, des menées génocidaires qui perdurent encore.
Il lui faut aussi des économistes et des commerciaux de premier plan car la démographie, la vitalité, la richesse et donc la sûreté du pays exigent qu’il redevienne le carrefour aussi bien nord-sud que est-ouest dont dépend sa prospérité et sa pérennité. Le sens du commerce a toujours été la caractéristique du talent arménien.
Il faut enfin d’excellents connaisseurs de la sphère régionale (au-delà du seul sud-Caucase) qui est l’environnement premier de l’Arménie où la connaissance d’une langue véhiculaire comme le russe dans l’immense espace ex-soviétique est un atout incontestable.
Dans la perspective d’un réseau diplomatique nécessairement limité pour des raisons budgétaires, l’Arménie devra faire porter son effort sur cet environnement régional, sur quelques grandes capitales notamment dans les pays de diaspora et sur les organisations internationales, sans oublier la connaissance et la pratique des institutions européennes, où de par son histoire, sa culture et ses valeurs, l’Arménie rencontrera toujours une écoute attentionnée.
Du point de vue de ces impératifs, l’université française en Arménie, conçue dès l’origine pour former les cadres dont ce vieux pays et ce jeune État a besoin, coche toutes les cases : elle forme des juristes de haut niveau (la première promotion a remporté en 2006 le prix René Cassin devant les plus anciennes et réputées universités européennes), des spécialistes de l’économie, du commerce, de la gestion et maintenant des nouvelles technologies. Tous ses diplômés sont en outre au moins quadrilingues (arménien, russe, anglais, français) avec, pour nombre d’entre eux, l’option d’une cinquième langue (allemand ou espagnol). La sévérité du concours d’entrée et des examens, un contrôle impartial des résultats, les possibilités de stage, les connaissances régionales et la déontologie rigoureuse – sans laquelle il n’est point de service public ni de Serviteur de l’État dignes de ce nom – sont des atouts incontournables. Ce souci de servir est au cœur de toute carrière diplomatique qui se respecte.
Henry Cuny
2 juin 2021
2 juin 2021