Sigest va publier fin 2017 une nouvelle édition du livre/document d’Arthur Beylerian.
Les Grandes puissances, l’Empire ottoman et les Arméniens dans les archives françaises (1914-1918), Publié à l’origine aux Publications de la Sorbonne en 1983
En attendant, nous présenterons dans ces pages quelques extraits. (c) Sigest
Un témoignage allemand sur les atrocités arméniennes*
Les Basler Nachrichten publient la lettre suivante, adressée par quelques professeurs de l’école allemande d’Alep en Syrie à l’Office des Affaires étrangères de Berlin.
« Il nous paraît être de notre devoir d’attirer l’attention de l’Office des Affaires étrangères sur le fait que notre œuvre scolaire manquera désormais de base morale et perdra toute autorité aux yeux des indigènes, si le gouvernement allemand est effectivement hors d’état d’adoucir la brutalité avec laquelle on procède ici contre les femmes et les enfants expulsés des Arméniens tués.
« En présence des scènes d’horreur qui se déroulent chaque jour sous nos yeux à côté de notre école, notre travail d’instituteurs devient un défi à l’humanité. Comment pouvons-nous faire lire à nos élèves arméniens les contes des sept nains, comment pouvons-nous leur apprendre à conjuguer et à décliner, quand, dans les cours voisines de notre école, la mort fauche leurs compatriotes mourant de faim ! Quand des jeunes filles, des femmes, des enfants. presque nus, les uns gisant sur le sol, les autres couchés entre des mourants ou des cercueils déjà préparés, exhalent leur dernier souffle !
« Des 2 000 à 3 000 paysannes de la Haute-Arménie amenées ici en bonne santé, il reste 40 à 50 squelettes. Les plus belles sont les victimes de la lubricité de leurs gardiens. Les laides succombent aux coups, à la faim, à la soif ; car, étendues au bord de l’eau, elles n’ont pas la permission d’étancher leur soif. On défend aux Européens de distribuer du pain aux affamées. On emporte chaque jour d’Alep plus de cent cadavres.
« Et tout cela se passe sous les yeux de hauts fonctionnaires turcs. 40 à 50 fantômes squelettiques sont entassés dans la cour vis-à-vis de notre école. Ce sont des folles ; elles ne savent plus manger ; quand on leur tend du pain, elles le jettent de côté avec indifférence. Elles gémissent en attendant la mort.
« Voilà, disent les indigènes, Ta-â-lim et Alman (l’enseignement des Allemands).
« L’écusson allemand risque de rester irrémédiablement taché dans le souvenir des peuples d’Orient. Quelques habitants d’Alep, plus éclairés que les autres, disent : « Les Allemands ne veulent pas ces horreurs, Peut-être le peuple allemand les ignore-t-il ? Sinon, comment les journaux allemands, amis de la vérité, pourraient-ils parler de l’humanité avec laquelle sont traités les Arméniens coupables de haute trahison ? Peut-être aussi, le gouvernement allemand a-t-il les mains liées par un contrat réglant les compétences mutuelles des États ?
« Non, quand il s’agit de livrer à la mort par la faim des milliers de femmes et d’enfants, les mots d’ « opportunisme » et de « compétence » n’ont plus de sens. Tout civilisé est compétent dans ce cas et a le devoir sacré d’intervenir. C’est notre prestige en Orient qui est en jeu. Même des Turcs et des Arabes restés humains secouent avec tristesse la tête lorsqu’ils voient, dans les convois qui traversent la ville, les soldats brutaux accabler de coups de fouet des femmes enceintes qui ne peuvent plus avancer.
« On peut s’attendre encore à de plus horribles hécatombes humaines, d’après l’ordonnance publiée par Djemal pacha. (Il est interdit aux ingénieurs du chemin de fer de Bagdad de photographier les convois d’Arméniens ; les plaques utilisées doivent être livrées dans les 24 heures, sous peine de poursuites devant le conseil de guerre). C’est une preuve que les autorités influentes craignent la lumière, mais ne veulent point mettre fin à ces scènes déshonorantes pour l’humanité.
« Nous savons que l’Office des Affaires étrangères a reçu déjà, d’autre part, des descriptions détaillées de ce qui se passe ici. Mais, comme aucun changement ne s’est produit dans le système des déportations, nous nous sentons doublement obligés à ce rapport, d’autant plus que notre situation à l’étranger nous permet de voir plus clairement l’immense danger qui menace ici le nom allemand ».
« Il nous paraît être de notre devoir d’attirer l’attention de l’Office des Affaires étrangères sur le fait que notre œuvre scolaire manquera désormais de base morale et perdra toute autorité aux yeux des indigènes, si le gouvernement allemand est effectivement hors d’état d’adoucir la brutalité avec laquelle on procède ici contre les femmes et les enfants expulsés des Arméniens tués.
« En présence des scènes d’horreur qui se déroulent chaque jour sous nos yeux à côté de notre école, notre travail d’instituteurs devient un défi à l’humanité. Comment pouvons-nous faire lire à nos élèves arméniens les contes des sept nains, comment pouvons-nous leur apprendre à conjuguer et à décliner, quand, dans les cours voisines de notre école, la mort fauche leurs compatriotes mourant de faim ! Quand des jeunes filles, des femmes, des enfants. presque nus, les uns gisant sur le sol, les autres couchés entre des mourants ou des cercueils déjà préparés, exhalent leur dernier souffle !
« Des 2 000 à 3 000 paysannes de la Haute-Arménie amenées ici en bonne santé, il reste 40 à 50 squelettes. Les plus belles sont les victimes de la lubricité de leurs gardiens. Les laides succombent aux coups, à la faim, à la soif ; car, étendues au bord de l’eau, elles n’ont pas la permission d’étancher leur soif. On défend aux Européens de distribuer du pain aux affamées. On emporte chaque jour d’Alep plus de cent cadavres.
« Et tout cela se passe sous les yeux de hauts fonctionnaires turcs. 40 à 50 fantômes squelettiques sont entassés dans la cour vis-à-vis de notre école. Ce sont des folles ; elles ne savent plus manger ; quand on leur tend du pain, elles le jettent de côté avec indifférence. Elles gémissent en attendant la mort.
« Voilà, disent les indigènes, Ta-â-lim et Alman (l’enseignement des Allemands).
« L’écusson allemand risque de rester irrémédiablement taché dans le souvenir des peuples d’Orient. Quelques habitants d’Alep, plus éclairés que les autres, disent : « Les Allemands ne veulent pas ces horreurs, Peut-être le peuple allemand les ignore-t-il ? Sinon, comment les journaux allemands, amis de la vérité, pourraient-ils parler de l’humanité avec laquelle sont traités les Arméniens coupables de haute trahison ? Peut-être aussi, le gouvernement allemand a-t-il les mains liées par un contrat réglant les compétences mutuelles des États ?
« Non, quand il s’agit de livrer à la mort par la faim des milliers de femmes et d’enfants, les mots d’ « opportunisme » et de « compétence » n’ont plus de sens. Tout civilisé est compétent dans ce cas et a le devoir sacré d’intervenir. C’est notre prestige en Orient qui est en jeu. Même des Turcs et des Arabes restés humains secouent avec tristesse la tête lorsqu’ils voient, dans les convois qui traversent la ville, les soldats brutaux accabler de coups de fouet des femmes enceintes qui ne peuvent plus avancer.
« On peut s’attendre encore à de plus horribles hécatombes humaines, d’après l’ordonnance publiée par Djemal pacha. (Il est interdit aux ingénieurs du chemin de fer de Bagdad de photographier les convois d’Arméniens ; les plaques utilisées doivent être livrées dans les 24 heures, sous peine de poursuites devant le conseil de guerre). C’est une preuve que les autorités influentes craignent la lumière, mais ne veulent point mettre fin à ces scènes déshonorantes pour l’humanité.
« Nous savons que l’Office des Affaires étrangères a reçu déjà, d’autre part, des descriptions détaillées de ce qui se passe ici. Mais, comme aucun changement ne s’est produit dans le système des déportations, nous nous sentons doublement obligés à ce rapport, d’autant plus que notre situation à l’étranger nous permet de voir plus clairement l’immense danger qui menace ici le nom allemand ».
(A.M.A.E., Guerre 1914-1918, Turquie, tome 888, f. 64).
* Article paru dans le Journal de Genève du 17 août 1916, n° 227.