Que veut l’Azerbaïdjan ?

par | 1 Fév 2024 | Analyses

Après la prise de contrôle militaire du Haut-Karabakh par l’Azerbaïdjan en septembre 2023 et le déplacement forcé des Arméniens, certains ont espéré, en Arménie et à l’étranger, qu’un accord de paix entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan était à portée de main. Ces espoirs reposaient sur l’hypothèse que l’Azerbaïdjan avait reçu tout ce dont il pouvait rêver il y a quelques années.

 

Après septembre 2023, l’Azerbaïdjan contrôlera l’ensemble du Haut-Karabakh, où il ne restera qu’une poignée d’Arméniens. Le gouvernement arménien a accepté cette réalité sans intention de la remettre en cause, tandis que la communauté internationale n’a rien fait de concret pour punir l’Azerbaïdjan ou créer les conditions d’un retour des Arméniens. Le président Ilham Aliyev a prouvé à tous qu’il n’était pas un « golden boy » devenu président uniquement parce qu’il était le fils d’un éminent dirigeant – Heydar Aliyev – et qu’il ne possédait pas les compétences de base en matière de gouvernance. Il a réussi là où son père avait échoué, en prenant le contrôle du Haut-Karabakh et en hissant les drapeaux azerbaïdjanais à Chouchi et à Stepanakert.

Il semble que le moment soit venu de faire la paix avec l’Arménie – une paix qui cimenterait le contrôle azerbaïdjanais sur le Haut-Karabakh et ouvrirait la voie à une normalisation entre l’Arménie et la Turquie. La normalisation des relations avec l’Azerbaïdjan et la Turquie pourrait permettre à l’Arménie de prendre des mesures tangibles pour réduire sa dépendance à l’égard de la Russie. Sur le plan économique, l’Arménie pourrait remplacer le gaz russe par des importations en provenance d’Azerbaïdjan et réorienter une partie des exportations arméniennes à destination de la Russie vers les marchés turcs. Sur le plan de la sécurité, la normalisation des relations avec l’Azerbaïdjan et la Turquie rendrait probablement moins nécessaire la présence d’une base militaire russe et de troupes frontalières en Arménie. Ainsi, en signant un accord de paix avec l’Arménie, l’Azerbaïdjan pourrait ouvrir la voie à une région plus stable et à une moindre présence russe dans le Caucase du Sud.

L’UE et les États-Unis ont pu nourrir ces espoirs à la fin du mois de septembre 2023. Ils attendaient le triomphe des efforts de facilitation occidentaux – la signature de l’accord de paix entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan et le début de la fin de la présence russe dans le Caucase du Sud. Quatre mois se sont écoulés, mais l’accord de paix n’a pas encore été signé, et il y a de plus en plus de doutes quant à sa signature prochaine. La raison n’en est pas la réticence de l’Arménie ou les exigences de l’Arménie de garantir le droit au retour des Arméniens dans le Haut-Karabakh, d’accorder un statut d’autonomie au Haut-Karabakh ou de retirer les troupes azerbaïdjanaises des territoires occupés de l’Arménie.

Les principales raisons sont les demandes de l’Azerbaïdjan d’un corridor extraterritorial via l’Arménie de l’Azerbaïdjan au Nakhitchévan, le refus de l’Azerbaïdjan d’accepter des cartes concrètes pour le processus de délimitation et de démarcation, et le refus de facto de l’Azerbaïdjan de reconnaître l’intégrité territoriale arménienne à l’intérieur des frontières administratives de l’Arménie soviétique, en dépit du fait que l’Azerbaïdjan a signé de nombreuses déclarations à Bruxelles sur l’acceptation de la déclaration d’Alma-Ata de 1991 comme base pour la définition des frontières.

En avançant ces exigences, l’Azerbaïdjan a effectivement tué la possibilité de signer un accord global. Comme alternative, l’Azerbaïdjan offre la possibilité de signer un « accord-cadre », qui laissera ouvertes toutes les questions en suspens entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan tout en cimentant le statu quo de l’après septembre 2023. Même si un accord-cadre est signé, la région restera pour l’essentiel inchangée. Il n’apportera pas de stabilité durable, laissera la porte ouverte à une escalade militaire et n’ouvrira pas la voie à une normalisation entre l’Arménie et la Turquie. Le comportement de l’Azerbaïdjan montre clairement que Bakou n’est pas intéressé par la paix dans le Caucase du Sud, même par une paix qui serait basée sur la victoire complète de l’Azerbaïdjan dans le conflit du Haut-Karabakh, ce que l’on appelle la « paix des vainqueurs ».

Ce comportement de l’Azerbaïdjan peut s’expliquer de plusieurs manières. D’un point de vue de politique intérieure, le président Aliyev pourrait avoir besoin de continuer à avoir des ennemis extérieurs pour rallier la population à son régime. Dans ce scénario, le concept d' »Azerbaïdjan occidental » pourrait remplacer le Haut-Karabakh, faisant du retour des Azerbaïdjanais en Azerbaïdjan occidental ou du contrôle réel de l’Azerbaïdjan sur ce territoire un nouveau rêve national, similaire à la « libération du Karabakh ».

Une autre explication pourrait être le désir de l’Azerbaïdjan de continuer à affaiblir l’Arménie et, comme objectif final, de faire de l’Arménie un État non viable en créant une frontière terrestre entre l’Azerbaïdjan et le Nakhitchévan à travers le territoire arménien et en fermant la frontière arménienne avec l’Iran. Il pourrait y avoir d’autres explications. Cependant, une chose est claire. Le Haut-Karabakh n’est qu’une pièce du grand puzzle de la stratégie de l’Azerbaïdjan et probablement de la Turquie à l’égard de l’Arménie. Cela signifie que même si l’Arménie accepte toutes les demandes de l’Azerbaïdjan, y compris l’établissement d’un corridor extraterritorial, le « retour des enclaves », le déploiement d’Azerbaïdjanais dans la région de Syunik et d’autres régions d’Arménie, et d’autres encore, l’Azerbaïdjan ne signera pas d’accord et présentera de nouvelles demandes. Ce sera une histoire sans fin, qui affaiblira de plus en plus l’Arménie.

L’Arménie se trouve aujourd’hui dans une situation très difficile. Après la prise complète du Haut-Karabakh par l’Azerbaïdjan, les régions de Syunik et de Vayots Dzor sont prises en sandwich entre l’Azerbaïdjan et le Nakhitchévan, l’équilibre militaire reste en faveur de l’Azerbaïdjan, les relations entre la Russie et l’Arménie sont au plus bas depuis 1991, et l’UE et les États-Unis n’ont pas offert de garanties de sécurité solides et viables. Cette situation exige de l’Arménie des actions prudentes et calculées. Cependant, une chose est claire, la poursuite de la politique d’apaisement envers l’Azerbaïdjan ne résoudra pas les problèmes de l’Arménie et ne fera qu’aggraver la situation.

Source :
https://mirrorspectator.com/2024/01/29/what-does-azerbaijan-want/
Traduit de l’anglais par Jean Dorian