Edito de Bedros Terzian
Dans la nuit du 25 au 26 mai 2024, dans la province de Lori, en Arménie, à la suite de pluies torrentielles, la rivière Débèd est sortie de son lit, emportant tout sur son passage. En quelques heures, le niveau de l’eau est monté de six mètres. La ville d’Alaverdi, nichée au fond d’une vallée, a été particulièrement touchée. Routes, ponts, habitations ont été inondés, endommagés. Tout cela aurait pu être évité, si Alaverdi avait été bâtie en hauteur, si ses infrastructures avaient été construites dans les normes, si l’incurie et la corruption n’avaient pas sévi. Le Lori a vécu un drame comparable – à bien plus petite échelle, heureusement – à celui que le Chirag a connu lors du séisme de 1988 : les immeubles construits dans les règles antisismiques avaient alors résisté aux chocs, alors que les autres s’étaient écroulés. Ainsi, à Alaverdi, un pont qui n’avait que 40 ans d’âge, a été emporté par les flots, car ses constructeurs, peu scrupuleux, avaient volé une partie du ciment et du fer. Au Tavush, sous la poussée de l’Aghesdév en crue, l’un des piliers du pont de Khashtarak a glissé sur son socle, pour les mêmes raisons. Routes et ponts sont devenus des témoins de l’histoire : ceux qui ont été construits avant la corruption des décennies 1970-1980, ont résisté ; les autres se sont effondrés.
Si j’insiste sur ces « détails », c’est pour attirer l’attention sur un fléau, la corruption, dont on parle beaucoup, certes, mais dont on ne mesure pas assez les conséquences. Ce qui vient de se produire dans le Lori et au Tavush, comme la catastrophe qui a frappé le Chirag il y a 35 ans, peut se reproduire ailleurs en Arménie (ou dans une autre République ex-soviétique, car la corruption n’avait rien de spécifiquement arménien). Disons les choses crûment : si la nature se met parfois en colère, elle ne détruit et ne tue à grande échelle que si l’homme s’est montré négligent, irresponsable.
La corruption est LE fléau absolu dont tout État, tout pays doit se garder. Non seulement elle vide l’économie de son sang, sape le moral des armées, mais elle devient la complice criminelle des forces tectoniques lorsque celles-ci se déchaînent, ou des dérèglements climatiques, qui iront sans doute en s’amplifiant. Dénoncer la corruption et la combattre sont donc des impératifs. Éradiquer l’héritage des malfaçons soviétiques dans l’habitat et les infrastructures, reconstruire dans le respect des normes, tout en relevant les défis du développement : la tâche n’est pas aisée. Poursuivons notre action.