Par Minas Kojayan, PhD, Los Angeles, 16 juillet 2024
Au cours de l’année écoulée, le projet de Cité académique a été largement couvert par les médias arméniens, fortement promu par les oligarques et surtout par les médias contrôlés par le gouvernement. Ce projet coïncide avec des propositions de délocalisation du conservatoire Komitas et de l’université d’État d’Erevan, mon alma mater.
Ces projets, conçus dans l’esprit « mondialisé » et « sorosisé » des dirigeants arméniens, soulèvent de sérieuses inquiétudes. Les incitations financières destinées aux gestionnaires de projets arméniens et non arméniens méritent d’être examinées de plus près.
Si le projet se poursuit, l’héritage du brillant architecte d’Erevan, Alexandre Tamanian, sera bafoué. Cela revient à déplacer la Tour Eiffel sous prétexte de développement urbain.
Tamanian, architecte exceptionnel formé en Europe, a habilement intégré les traditions architecturales arméniennes à l’urbanisme moderne. Il a conçu Erevan, la capitale de la République socialiste soviétique d’Arménie, avec un noyau central comprenant un réseau d’institutions politiques, culturelles et éducatives. Ce noyau comprend l’université d’État d’Erevan, l’ancien conservatoire Komitas, l’institut médical, les instituts des beaux-arts et du théâtre, l’institut polytechnique, le complexe de l’opéra et de la philharmonie – un chef-d’œuvre d’architecture -, tous centrés autour du parc circulaire. Ce plan continue de définir la place de la République d’Erevan.
Pendant mes années d’études et de doctorat (1968-1978) à Erevan, les parcs, les cafés et les théâtres situés à proximité de nos établissements d’enseignement étaient des lieux de rencontre très animés. Ces espaces ont insufflé à la ville une énergie juvénile qui lui a donné son caractère distinctif, décrit dans des chansons comme « Erevan, ma bonne ville » ou « Spring Yerevan, lovely Yerevan » (printemps d’Erevan, belle Erevan). Le programme « Academic City » menace de priver Erevan de ces caractéristiques déterminantes.
J’ai étudié pendant un certain temps à l’Alliance française de Paris et j’ai suivi les cours d’études arméniennes à la Sorbonne (sous la direction du professeur Fr. Feydit) en tant qu’observateur. Ces deux institutions sont situées dans le centre de Paris, où se trouvent également d’autres centres d’enseignement supérieur. Chaque jour, des milliers d’étudiants quittaient la Cité Internationale Universitaire de Paris, située dans le sud du 14ème arrondissement, pour se rendre dans ces centres. C’est là que les Arméniens avaient leur logement : la « Maison des étudiants arméniens », grâce à la prévoyance de Boghos Nubar Pacha, fondateur de l’Union générale arménienne de bienfaisance. Le bâtiment comportait des arcs et un porche dans le style architectural arménien. Nous étions très fiers de notre « Vostan » (le nom du bâtiment, qui signifie « capitale »).
Il nous fallait au moins une demi-heure pour nous rendre de la cité universitaire à nos universités. Le fait d’être au centre de la ville a donné au quartier latin et aux quartiers environnants un caractère unique – des rues animées par des étudiants, des conférenciers et une atmosphère académique vivante. Ce n’est que lorsque nous étions épuisés que nous prenions le métro pour rentrer dans nos résidences. Plusieurs soulèvements d’étudiants parisiens ont également commencé dans ces quartiers. Le gouvernement français et la municipalité de Paris n’ont jamais envisagé de construire une « cité universitaire » ailleurs, car une tradition remontant aux XIVe et XVe siècles a donné à la ville son caractère distinctif. Les établissements d’enseignement renommés de Paris sont situés au cœur de la ville, ce qui enrichit son attrait. Ainsi, les responsables de la RdA qui aspirent à rejoindre l’Union européenne prennent une mesure résolument non européenne en proposant une « cité universitaire » loin du centre ville.
Ayant observé de près l’environnement en Arménie, je constate que ces projets de construction sont motivés par des considérations purement lucratives qui sont occultées par leurs promoteurs. Les entreprises de construction locales et étrangères, aidées par des avocats rémunérés, font pression pour obtenir ces projets, en leur présentant des promesses enrobées d’avantages pour les futurs progrès académiques. Malheureusement, la plupart de nos masses trompées, qui luttent pour satisfaire leurs besoins essentiels, n’ont ni les moyens ni la motivation de s’opposer à ce plan défectueux. Je ne serais pas surpris que les « admirateurs » du régime actuel qualifient ceci de « théorie du complot » concoctée par des gens comme moi.
En effet, après avoir analysé les motivations du régime actuel au cours des quatre ou cinq dernières années, il est évident que l’un de ses objectifs est de regrouper les étudiants « sous un même toit », ce qui les rend plus faciles à contrôler. En outre, le régime a l’intention de déplacer les étudiants – le segment le plus actif de la population arménienne – de la capitale.
Ne soyez pas surpris si le premier ministre arménien – qui prétend représenter la volonté du peuple arménien – et ses associés proposent de transformer Tsitsernakaberd (le mémorial du génocide) en un monument à « l’amitié des nations caucasiennes » ou à « l’amitié arméno-turque ».
Mais je me demande si le véritable objectif de ce projet « luxueux » est de créer une « ville universitaire » ou s’il s’agit simplement d’une occasion en or de se remplir les poches.