Le film controversé de Disney sur Atatürk
Le film controversé de Disney sur Atatürk
a suscité la colère des Arméniens… et des Turcs
Il faut être un cadre particulièrement incompétent de la Walt Disney Company pour proposer un projet de film qui a mis en colère à la fois les Arméniens et les Turcs. Cet employé devrait être licencié pour avoir causé des dommages au coffre et la réputation de l’entreprise.
Le service de streaming Disney+ avait prévu de réaliser une série en six épisodes retraçant la vie de Kemal Ataturk, père fondateur de la République de Turquie, vénéré par la quasi-totalité des Turcs. L’insulte à Atatürk est passible d’une peine pouvant aller jusqu’à trois ans de prison. Le Comité national arménien d’Amérique (ANCA) a lancé une campagne en juin pour protester contre le projet de film de Disney.
L’ANCA a demandé à Disney+ « d’annuler sa série glorifiant Mustafa Kemal Ataturk – un dictateur turc et un tueur génocidaire avec le sang de millions de martyrs grecs, arméniens, assyriens, chaldéens, syriaques, araméens, maronites et autres chrétiens sur les mains ».
Ironiquement, malgré sa propre part de crimes et d’actions anti-arméniennes, Atatürk a été assez honnête pour admettre lors d’une interview avec le Los Angeles Examiner le 1er août 1926 : « Ces restes de l’ancien parti Jeune Turc, qui auraient dû rendre compte de la vie de millions de nos sujets chrétiens, impitoyablement chassés en masse de leurs maisons et massacrés, se sont montrés rétifs sous le régime républicain. Ils ont vécu jusqu’à présent de pillage, de vol et de corruption, et sont devenus hostiles à toute idée ou suggestion de s’enrôler dans un travail utile et de gagner leur vie à la sueur de leur front ». Malheureusement, à plusieurs autres occasions, Atatürk s’est contredit en justifiant le génocide arménien.
La nouvelle de l’objection arménienne au film de Disney, le changement de plan de la société et la réaction irrationnelle de la Turquie ont fait l’objet d’innombrables articles dans le monde entier, rendant publique la question du génocide arménien. Les médias turcs ont accusé l’ANCA, « le puissant lobby arménien » aux États-Unis, d’avoir réussi à faire pression sur la société Disney.
Disney avait initialement annoncé que la série à la gloire d’Atatürk serait diffusée sur le réseau Disney+ à partir du 29 octobre 2023, pour coïncider avec le 100e anniversaire de la fondation de la République turque. Disney+ a modifié ses plans et prévoit désormais de diffuser le film en deux parties : La première partie sera diffusée sur Fox TV, propriété de Disney, le 29 octobre et la seconde dans les salles de cinéma turques le 22 décembre. Les deux films seront rediffusés l’été prochain. La production du film « Ataturk » a coûté 8 millions de dollars à Disney.
Ebubekir Shahin, président du Conseil suprême de la radio et de la télévision turque (RTUK), a déclaré qu’il allait lancer une enquête officielle sur la décision de Disney. Huseyin Yayman, président de la commission des médias numériques du parlement turc, a menacé Disney de sanctions sévères : « Nous imposerons des amendes sévères, y compris l’annulation de la licence de Disney+, la réduction de la bande passante et l’interdiction de la publicité. D’éminentes personnalités turques, dont des hommes politiques, des artistes et des journalistes, ont dénoncé Disney avec colère et ont résilié leur abonnement à Disney+, qui compte 50 000 abonnés en Turquie. Omer Celik, porte-parole du parti AK au pouvoir en Turquie, a qualifié le changement de plan de Disney de « honteux » et a affirmé que la société avait cédé au « lobby arménien ». Il a également déclaré que l’intention de l’ANCA était d’empêcher la normalisation des relations entre la Turquie et l’Arménie. Serdar Kilic, l’ambassadeur turc chargé du processus de normalisation de son pays avec l’Arménie, a également résilié son abonnement à Disney+. L’agence de presse du gouvernement turc, Anadolu Agency, a publié un commentaire de Burak Caliskan de l’Université de York intitulé : « Le lobby arménien a-t-il pris le contrôle de Disney+ ? »
La Turquie a même fait pression sur sa communauté arménienne pour qu’elle s’oppose à la décision de Disney. Bedros Shirinoglu, président de l’Association des fondations arméniennes de Turquie, otage du régime turc, a publié une déclaration honteuse vantant l’inexistence de la liberté d’expression en Turquie et appelant les « organisations américano-arméniennes à agir de manière plus responsable ». De même, Sevan Sıvacıoglu, membre du Parlement et représentant du parti politique du président Erdogan, s’est dit préoccupé par le fait que la décision de Disney entrave la normalisation des relations entre la Turquie et l’Arménie et compromet le potentiel de développement de liens amicaux entre les deux pays.
Selon le Middle East Eye, « en juin, Disney a retiré de nombreuses émissions et films de Disney+ afin de réduire les frais résiduels et sa facture fiscale. Cette stratégie a également entraîné le retrait de huit émissions de télévision et films turcs produits exclusivement pour la plateforme de streaming turque de Disney, ainsi que la suspension du lancement de nouveaux contenus turcs. » Disney+ (Turquie) a confirmé avoir pris cette décision.
Toute cette controverse aurait pu être évitée si Disney s’était un peu renseigné avant de se lancer dans une aventure aussi peu judicieuse. Disney n’a rien à faire dans la préparation d’un documentaire sur Atatürk ou toute autre personnalité politique. Disney s’est lancé aveuglément dans ce projet, provoquant la colère de nombreux Arméniens à travers le monde. Puis, se rendant compte de son erreur, Disney s’est lavé les mains et a astucieusement diffusé le documentaire sur Fox-TV en Turquie.
Néanmoins, la bataille est en partie gagnée. Même si le géant Disney a changé ses plans, les Arméniens du monde entier doivent maintenant poursuivre cette question avec les dirigeants de Disney pour trois raisons :
1) Annuler complètement le documentaire sur Atatürk et ne pas le confier à Fox-TV en Turquie ;
2) S’assurer que la société Disney n’envisagera plus jamais de réaliser un film de propagande turque ;
3) Demander à Disney de réaliser un documentaire sur un sujet arménien, tel que le génocide arménien et les républiques d’Arménie et d’Artsakh.
Malheureusement, une fois de plus, la communauté arméno-américaine est laissée seule face au tout-puissant gouvernement turc, sans aucune aide des dirigeants arméniens qui agissent comme si les questions arméniennes ne les intéressaient pas.