J’invite à relire lentement, pour en peser le poids des mots, cet extrait d’un morceau d’anthologie de la littérature française. Ainsi débutent les Mémoires de guerre du Général de Gaulle.
AC
La Pente
Toute ma vie, je me suis fait une certaine idée de la France.
Le sentiment me l’inspire aussi bien que la raison. Ce qu’il y a, en moi, d’affectif imagine naturellement la France, telle la princesse des contes ou la madone aux fresques des murs, comme vouée à une destinée éminente et exceptionnelle. J’ai, d’instinct, l’impression que la Providence l’a créée pour des succès achevés ou des malheurs exemplaires. S’il advient que la médiocrité marque, pourtant, ses faits et gestes, j’en éprouve la sensation d’une absurde anomalie, imputable aux fautes des Français, non au génie de la patrie. Mais aussi, le côté positif de mon esprit me convainc que la France n’est réellement elle-même qu’au premier rang; que, seules, de vastes entreprises sont susceptibles de compenser les ferments de dispersion que son peuple porte en lui-même ; que notre pays, tel qu’il est, parmi les autres, tels qu’ils sont, doit, sous peine de danger mortel, viser haut et se tenir droit. Bref, à mon sens, la France ne peut être la France sans la grandeur.
Cette foi a grandi en même temps que moi dans le milieu où je suis né. Mon père, homme de pensée, de culture, de tradition, était imprégné du sentiment de la dignité de la France. Il m’en a découvert l’Histoire. Ma mère portait à la patrie une passion intransigeante à l’égal de sa piété religieuse. Mes trois frères, ma sœur, moi-même, avions pour seconde nature une certaine fierté anxieuse au sujet de notre pays. Petit Lillois de Paris, rien ne le frappait davantage que les symboles de nos gloires : nuit descendant sur Notre-Dame, majesté du soir à Versailles, Arc de Triomphe dans le soleil, drapeaux conquis frissonnant à la voûte des Invalides. […]
[…] Partout, je constatais le renouveau de prestige que ses succès récents valaient à la France, et, en même temps, les doutes qu’éveillaient, quant à l’avenir, les inconséquences de ses dirigeants. Au demeurant, je trouvais dans le métier militaire, l’intérêt puissant qu’il comporte pour l’esprit et pour le cœur. Dans l’Armée, tournant à vide, je voyais l’instrument des grandes actions prochaines.