Israël et la reconnaissance du génocide arménien

par | 10 Juin 2008 | Tribunes libres

Timides avancées israéliennes vers la reconnaissance du génocide

 

En Israël comme ailleurs, il existe souvent un clivage voire une véritable dichotomie entre, d’une part, la direction politique et diplomatique du pays, et, d’autre part, les sentiments de la plus grande part des citoyens. Entre les deux, prédomine la sempiternelle realpolitik.

 

Le 26 mars 2008 est parvenue une bonne nouvelle de Jérusalem. A la majorité relative des parlementaires israéliens la composant, la Knesset a voté la mise à l’ordre du jour d’un débat sur la reconnaissance du génocide arménien de 1915. Comme à l’accoutumée, c’est de la gauche sioniste radicale – en l’espèce du petit parti Meretz (« Energie », 5 députés sur 120), qu’est née l’initiative. Déjà en avril 2005, l’ancien leader de cette formation laïque et ancien ministre de l’Education, Yossi Sarid, avait déposé une gerbe au Tsitsernakabert à Erevan. Cette fois, le président en titre et en exercice du parti, Haïm Oron, a pris le dossier en charge, apostrophant ses collègues : « Il est tout à fait inacceptable que le peuple juif ne se fasse pas entendre sur cette question ! ». On arguera à juste titre qu’Oron, depuis sa place située sur les bancs de l’opposition, ne pèse (ni ne joue politiquement) grand-chose. Or, plus intéressant, il fut rejoint par un parlementaire de la coalition au pouvoir, en l’occurrence Zeev Elkin, membre du parti charnière Kadima (« En avant ! », 38 sièges), lequel affirma au cours de la séance qu’« Israël devrait compter parmi les premiers Etats à reconnaître le génocide arménien ». Si les parlementaires présents ont suivi dans leur majorité les recommandations de leurs deux collègues, certains sont montés au créneau pour les fustiger ; ainsi depuis le banc du parti populiste russophone Israël bethenou (« Israël est notre maison », 11 sièges), le député d’origine azerbaidjanaise Yossef Chagal a exigé que le débat se déroule à huis clos, au sein de la Commission des Affaires étrangères et de la Défense de la Knesset, et non dans celle, ouverte, de l’Education. L’argument opposé par Chagal, fallacieux au regard de la sérénité dont jouissent les (rares) Juifs montagnards d’Azerbaïdjan non encore montés en Israël, concernent leur sécurité en cas de vote par la Knesset de la reconnaissance du génocide arménien. Au sein du gouvernement Olmert, où l’on a depuis plusieurs mois d’autres chats à fouetter (affaires en série, situation au Liban, tirs sur Sdérot à partir de Gaza…), on s’est contenté de botter en touche. Dans le meilleur des cas, le parlement israélien pourrait enfin voter à terme la fameuse reconnaissance du cataclysme, honorant par là même l’Etat juif dont l’opinion est timidement et globalement favorable. Mais même dans cette hypothèse haute, il ne s’agirait que d’un texte déclaratoire. Seul le gouvernement est habilité à modifier en profondeur la politique du pays vis-à-vis d’autres États. Or ce qui est évidemment en jeu, c’est la relation privilégiée avec la Turquie. Et l’on voit mal Jérusalem y renoncer sur l’autel d’une plus haute moralité, surtout avec pour président de l’État Shimon Péres qui, tout nobélisé soit-il, n’en maintient pas moins une posture clairement négationniste sur la question.

 

Mais peut-être des avancées plus substantielles que le micro-événement parlementaire de mars apparaissent-elles déjà, de l’extérieur, là où la realpolitik est moins pesante. Ainsi du revirement d’une partie du lobby pro-israélien au Congrès américain qui, à l’automne 2007, refusa pour la première fois de ne pas soutenir une motion reconnaissant le génocide de 1915. Ainsi encore du refus récent du Mémorial de la Shoah, à Paris, de ne pas exposer des photos et documents l’illustrant.

 

Le rythme de ces avancées peut sembler désespérément lent, et leur poids réel très faible. Toutefois, gageons que si les citoyens israéliens ont su s’adapter à une nouvelle historiographie – moins glorieuse que celle présentée naguère – sans trop de « casse » identitaire, et ont voulu exiger de leurs gouvernants un minimum de moralité durant les guerres (ex : Liban, 1982), ils sauront également, petit à petit, exercer des pressions sur leur pouvoir pour qu’il sacrifie un peu de realpolitik en contrepartie de beaucoup d’honneur.

 

 

Source : revue « Europe&Orient », n°6, juin 2008