La pensée stratégique arménienne ne peut pas se permettre d’être inefficace et l’Artsakh en est la meilleure preuve. Elle ne peut plus se contenter d’une vision géopolitique qui soit seulement théorique, encore moins totalement dépendante de l’environnement immédiat car l’Arménie historique ne se réduit pas à un cadre rigide. C’est pourquoi la topostratégie, au-delà de la géostratégie, doit déboucher sur une chronostratégie robuste, face aux attaques extérieures, et en même temps capable de produire des résultats constituant des avancées nationales. Ceci implique une synergie arménienne qui ne se limite pas au cadre de l’État puisque le rôle de la diaspora est fondamental et catalytique dans l’évolution de l’arménité.
Elle constitue un ensemble cohérent et diachronique qui dépasse la notion de frontière. C’est dans ce sens qu’elle vit naturellement dans l’espace de la grande stratégie. L’Arménie n’est pas seulement un État mais aussi une composante de cette Arménité. Il est donc essentiel de voir l’intérieur et l’extérieur comme un tout et non comme une partition. La stratégie ne peut être dominée par une vision tactique d’un système qui recherche uniquement un équilibre sans se préoccuper de savoir s’il est stable dans le temps. Une structure instable même si elle est équilibrée peut difficilement être un pôle attractif pour un réseau de coalitions or ce dernier est essentiel dans le cadre de la grande stratégie. La recherche d’une stratégie doit être capable de produire une pensée hors cadre restreint. Pour que le processus soit créatif, il doit se trouver dans une zone hors équilibre car cette dernière permet l’existence de nouvelles structures qui ont une autonomie et une capacité à fonctionner dans un réseau plus robuste par nature. La préparation de l’avenir de l’Arménie nécessite une connaissance de son histoire.
En effet, pour produire des modèles de développement efficaces, il faut étudier le substrat sur lequel ils vont s’appliquer. Les pièces du jeu d’échecs n’ont de sens tactique et stratégique qu’au sein de l’échiquier. Une bonne connaissance du terrain est donc primordiale. Seulement, il faut aussi étudier les pièces. L’anthropologie explique comment apparaissent des structures de civilisation. La pensée stratégique arménienne crée de l’avenir mais sans jamais oublier le passé car il existe un continuum humain. Elle sait combien il est dangereux de l’oublier car elle a aussi vécu dans ce cadre dépourvu d’histoire sous prétexte de l’omniprésence de l’idéologie. Cela signifie aussi que des tentatives uniquement idéologiques sont vouées à l’échec. Même un système très puissant finit par s’effondrer s’il ne gère pas ses relations avec le temps.
L’Arménité montre combien elle est ancrée en son sein. Et c’est pour cela que la chronostratégie est nécessaire au peuple arménien. Ce dernier a subi plusieurs barbaries et il est toujours là alors qu’elles ont disparu. Il est important de le réaliser car cela montre une résistance temporelle. C’est même l’exemple par excellence du principe que le temps est un lieu de résistance. Même le génocide n’est pas venu à bout de l’Arménité. Il ne faut donc pas avoir le comportement d’une victime mais celui d’un survivant capable d’être là même après le pire. Ce point est fondamental dans la vision de l’Arménité. En effet, il ne s’agit pas de corriger les erreurs du passé qui ont produit des résultats irréversibles mais de les gérer, de les dépasser et de les transcender. L’analyse rétrograde montre très bien ce qui a eu lieu dans le passé. Nous ne sommes pas dans un cadre où fonctionnerait le principe de la table rase ou même la notion de chaîne de Markov.
Il nous faut penser l’Arménité dans le temps car elle a en elle des éléments de civilisation. Il ne s’agit pas de nier le passé ou de tout faire dépendre du présent. Le futur stratégique doit être la clef de voûte de la pensée arménienne et ceci est le but de la Chronostratégie.